Articles Avocats | Alternatives et autres dispositifs de Protection | Actualité - écrit par Caroline Nouvian - dernière mise à jour le 15 avril 2021

Application en France du mandat de protection future établi à l'étranger : commentaire de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 27 janvier 2021 n°19-15.059

Le mandat de protection future, introduit en France par la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, permet à une personne (le mandant) d’organiser son éventuelle dépendance à venir, en chargeant un ou plusieurs mandataires de la représenter, pour le cas où, en raison d’une altération de ses facultés mentales ou en raison d’un état pathologique médicalement constaté, celle-ci se trouverait dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts.

L’article 477 du code civil énonce ainsi que : « Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts, pour l’une des causes prévues à l’article 425, à savoir en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté ».

Ce mandat a ainsi pour objet d’organiser une protection juridique à l’égard de la personne vulnérable et/ou de tout ou partie du patrimoine de celle-ci, en désignant à l’avance un ou plusieurs mandataires chargés de veiller à la préservation de ses intérêts.

Il peut être établi par un acte sous seing privé, un acte contresigné par un avocat ou par la voie notariée.

Le mandat de protection ne prend effet qu’à compter du moment où l’inaptitude du mandant est effectivement constatée.

D’autres pays se sont engagés dans la même voie (Allemagne, Espagne, Belgique, Italie, Danemark, Suisse, Quebec, Grande Bretagne, Etats Unis, Canada…), mais les règles ne sont pas identiques, étant précisé que le Législateur n’a pas pris en compte expressément l’éventualité des déplacements géographiques des personnes se trouvant dans un état de faiblesse physique ou mentale.

Par ailleurs, la juxtaposition des différents régimes juridiques nationaux régissant la mise en œuvre du mandat peut être source de difficultés, à titre d’exemple, lorsque la personne conclut un mandat de protection selon la loi d’un Etat, puis établit ensuite son domicile dans un autre Etat dans lequel une cause d’inaptitude apparaît.

Se pose, notamment, la question de savoir quel médecin sera habilité à intervenir, et selon quelle procédure, de même que le mandataire sera parfois contraint d’agir dans un cadre d’urgence afin de préserver aux mieux les intérêts de la personne à protéger.

Les réponses à ces problématiques sont envisagées essentiellement par le droit international privé, et par un arrêt du 27 janvier 2021 (Cass. civ. 1ère n°19-15.059) de la Cour de Cassation qui se prononce pour la première fois sur la portée des dispositions de l’article 1258-2 du code de procédure civile à l’égard du régime en France d’un mandat de protection ayant été établi à l’étranger.

Dans le cas d’espèce, une personne résidant habituellement en Suisse, avait établi un mandat d’inaptitude soumis aux articles 360 et suivants du code civil suisse et désigné l’un de ses fils en qualité de mandataire. Le mandant avait, par la suite, fixé sa résidence habituelle en France et son fils avait mis en œuvre le mandat, en faisant viser son contenu par le greffier du tribunal d’instance, conformément aux dispositions de l’article 1258-3 du code de procédure civile selon lesquelles : « si l’ensemble des conditions requises est rempli, le greffier du tribunal d’instance, après avoir paraphé chaque page du mandat, mentionne, en fin d’acte, que celui-ci prend effet à compter de la date de sa présentation au greffe, y appose son visa et le restitue au mandataire, accompagné des pièces produites ».

Le frère du mandataire ayant cependant contesté cette démarche, la Cour d’Appel saisie du litige, a considéré que le mandat n’aurait pas dû recevoir le visa du greffier, et a, en conséquence, annulé ce visa au motif que le mandat ne prévoyait pas de modalités de contrôle du mandataire, alors que les dispositions de l’article 1258-2 du code de procédure civile imposent au greffier de vérifier, au vu des pièces produites, que les modalités de contrôle de l’activité du mandataire sont formellement prévues.

La Cour de Cassation, saisie de la question de la portée des dispositions de l’article 1258-2 du code de procédure civile relatives à un mandat d’inaptitude établi en application d’un droit étranger, casse l’arrêt précité au motif que la mise en œuvre en France d’un mandat d’inaptitude suisse ne pouvait être subordonné à une condition de validité que la Loi suisse n’imposait pas.

Cette solution énoncée par la Cour de Cassation pour la première fois se justifie au regard des termes de l’article 15 de la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 relative à la protection internationale des adultes vulnérables, entrée en vigueur en France le 1e janvier 2009 :

Dans le cas d’espèce, le mandat avait, en effet, été soumis aux dispositions du code civil en application de l’article 15, §2 b, compte tenu de la présence de la résidence habituelle du mandant en Suisse.

Ces dispositions s’imposaient donc, sans que l’exigence posée par l’article 1258-2 du code de procédure civile français, tenant à la stipulation des modalités de contrôle de l’activité du mandataire, ait vocation à s’appliquer. Cette exigence est en effet prévue dans le cadre du régime français du mandat de protection future, régime ayant été délimité dans la perspective des situations de droit interne.

Il convient ainsi d’établir si le pays de résidence est contractant à la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 relative à la protection internationale des adultes vulnérables, entrée en vigueur en France le 1e janvier 2009, laquelle donne un cadre normatif en définissant les règles de compétence, la loi applicable, la reconnaissance ainsi que l’exécution des mesures tendant à la protection de la personne ou des biens d’un adulte.

Aux termes de l’article 15 de la Convention précitée : « Le mandat est régi par la loi de l’Etat de la résidence habituelle de l’adulte au moment de l’accord ou de l’acte unilatéral ».

La règle applicable étant celle selon laquelle le mandat est en principe régi par la loi de la résidence habituelle.

Dans la mesure où certains droits étrangers ignorent la possibilité d’établir de tels mandats, il est laissé à la personne une faculté de choix de la loi applicable au mandat, à la condition que sa désignation soit faite par écrit. Ainsi, pourra être choisie, « la loi de l’Etat dont l’adulte possède la nationalité, la loi d’une résidence habituelle précédente, la loi de l’Etat dans lequel sont situés les biens de l’adulte pour ce qui concerne ces biens (paragraphe 2 de l’article 15). Ce choix exprès d’une loi autre que celle de l’Etat de résidence habituelle peut s’avérer opportun lorsqu’un patrimoine est dispersé dans plusieurs Etats.

La convention prévoit également que les mesures prises dans un Etat membre contractant soient reconnues de plein droit dans les autres Etats contractants.

Enfin, la France a également signé des traités bilatéraux (convention franco-algérienne, convention franco-marocaine…) permettant la reconnaissance et l’exécution des mesure de protection à l’étranger.

Le 12 Avril 2021

Maître Caroline Nouvian
Avocate au Barreau de Beauvais

Cour de Cassation le 27 janvier 2021 n°19-15.059

Caroline Nouvian
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