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Aide aux tuteurs familiaux : l'Etat veut montrer l'exemple

Lors de sa publication il y a 3 semaines, nous avions commenté le "Décret n° 2008-1507 sur l'aide aux tuteurs familiaux" avec une certaine perplexité (voir notre article) car il semblait paradoxal de mettre des contraintes sur une activité quasi-inexistante sans prendre des actions susceptibles de développer la dite activité. Après une analyse approfondie des textes connexes nous rectifions aujourd'hui ce jugement. En effet, ce décret précise les conditions dans lesquels l'Etat va satisfaire au droit à l'information donné aux tuteurs familiaux par l'article 215-4 du CASF. Il ne règlemente pas l'aide aux tuteurs familiaux en général mais uniquement celle dispensée dans le cadre spécifique de cette obligation. Une fois cette erreur de champ corrigée, la logique de ce décret devient évidente puisque l'Etat doit nécessairement définir le cahier des charges d'un dispositif dont il aura la responsabilité. Mea culpa.

Les enjeux de ce décret n'en restent pas moins essentiels car il fixe les conditions dans lesquelles l'Etat pourra ouvrir la voie vers l'apparition de véritables offres d'accompagnement des tuteurs familiaux. Certes aucune stratégie de développement d'une telle activité n'est proposée, mais ce décret est un premier pas... et il faut bien commencer par un bout du problème.

Un droit à l'information créé par la loi du 5 mars 2007 et précisé par le décret 2008-1507

L'article L215-4 du CASF stipule que 
« 
Les personnes appelées à exercer ou exerçant une mesure de protection juridique en application de l'article 449 du code civil bénéficient, à leur demande, d'une information qui leur est dispensée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »

On notera que ce droit à l'information bénéficie aux tuteurs et curateurs familiaux déjà nommés, mais aussi aux personnes susceptibles de le devenir. Par souci de simplification, nous désignerons dans la suite de cet article l'ensemble de ces personnes sous le terme général de "tuteurs familiaux".

Les articles R215-14 et R215-15 instaurés par le décret précisent :
« Pour bénéficier de l'information prévue [...], les personnes [...] s'adressent aux greffes des tribunaux d'instance et de grande instance. Les greffes leur remettent la liste des personnes et des structures qui délivrent cette information. Cette liste est établie et mise à jour par le procureur de la République après avis des juges des tutelles de son ressort.»
« L'information mentionnée à l'article L. 215-4 est délivrée sous la forme d'un document ou sur internet. [...] »

L'information sera donc fournie sous forme d'un document ou sur internet. Pourtant elle ne sera pas dispensée directement par les tribunaux mais par des structures et personnes habilitées sous le contrôle des juges des tutelles et du procureur.

Ce mode fonctionnement semble étonnament lourd s'agissant de fournir simplement un document ou une adresse internet. Mais il s'explique par l'ajout dans le dispositif d'une possibilité de soutien technique.

Un dispositif qui va au-delà du droit à l'information fixé par la loi en prévoyant la possibilité d'un soutien technique

En effet l'article R.215-16 indique que
« A sa demande, l'intéressé peut bénéficier d'un soutien technique apporté par les personnes et les structures inscrites sur la liste prévue à l'article R. 215-14.
Ce soutien technique consiste en une information personnalisée et une aide technique dans la formalisation des actes de saisine de l'autorité judiciaire et dans la mise en œuvre des diligences nécessaires à la protection des intérêts de la personne protégée.
 »

Le périmètre de cette aide technique est très étendue puisque l'annexe 4-6 du décret précise que
« L'aide technique à la mise en œuvre des obligations liées à la mesure de protection mentionnée à l'article [R.215-16](*) comprend notamment :
1° Une aide à la réalisation de l'inventaire prévu à l'article 503 du code civil, à la rédaction et à la mise en forme de requêtes ainsi qu'à la reddition des comptes de gestion (annuels, définitifs, récapitulatif) ;
2° Une aide à la rédaction et à la mise en forme des courriers nécessaires à l'exercice des mesures de protection ;
3° La vérification de la conformité des documents à produire au juge des tutelles ;
4° L'orientation des personnes soutenues dans les différentes démarches à accomplir pour l'acquisition, la reconnaissance ou la défense des droits de la personne protégée.
 »

(*) Le texte original renvoit à l'article R.215-19 mais clui-ci n'a aucun rapport avec la protection des majeurs. Nous avons donc considéré qu'il s'agissait d'une coquille et avons remplacé cette référence par celle qui nous semble être presque certainement la bonne.

Cette extension du dispositif prévu par la loi est ambitieuse et répond à logique de "guichet unique" pour aider les tuteurs familiaux sur tous les aspects de leur mission. En outre les exigences qualitatives ne sont pas oubliées.

Des exigences qualitatives reflétant les préoccupations de la réforme : responsabilisation des familles, respect de la personne protégée, professionnalisation

Information

Si l'article R.415-15 rappelle que l'information délivrée doit comprendre des éléments aussi évidents et généraux que :
« [...]
2° Une explication précise du contenu des principes fondamentaux de la protection juridique issus de l'article 428 du code civil, que sont le principe de nécessité, le principe de subsidiarité et le principe de proportionnalité ;
3° Une présentation de la législation sur la protection des personnes majeures vulnérables ;
[...]
5° La description du contenu des mesures de protection juridique des majeurs ;
6° L'énoncé des droits et obligations de la personne chargée d'exercer la mesure de protection.
»,

cet article cite également, comme des points à part entière, des sujets aussi précis que :
« [...]
1° Un rappel du fait que la protection d'une personne vulnérable est d'abord un devoir des familles, et subsidiairement une charge confiée à la collectivité publique ;
[...]
4° Le contenu de la charte des droits et libertés de la personne majeure protégée figurant à l'annexe 4-3 ;
[...]
»,

ce qui permet de faire de cette information un levier supplémentaire pour atteindre les objectifs de la réforme, en l'occurence la responsabilisation des familles et le respect de la personne protégée.

Enfin, l'article R.215-17 souligne une évidence qu'il est toujours utile de rappeler :
« L'information délivrée au titre de la présente section doit être objective et impartiale. Elle n'a pas pour objet d'influencer la personne qui la reçoit dans les décisions relatives à la situation personnelle, patrimoniale, financière et économique de la personne protégée. »

Remarque : Nous avons constaté avec plaisir et fierté que nous respections d'ores et déjà l'ensemble de ces obligations qualitatives (et plus encore), ce qui ne nous empêchera pas de veiller à suivre l'évolution de vos attentes pour adapter nos contenus aux difficultés pratiques que vous rencontrez.

Soutien technique

Le soutien technique fait l'objet d'une attention plus particulière et l'article R.215-16 indique que
« [...] II. Toute personne physique qui apporte un soutien technique doit satisfaire aux conditions fixées au I de l'annexe 4-6. Elle intervient ponctuellement, ne peut constituer d'archive nominative concernant la personne protégée et la mesure dont elle fait l'objet et est tenue au secret. »

ladite annexe 4-6 stipulant, quant à elle, que
« I.-Toute personne qui participe à la mise en œuvre du soutien technique mentionné à l'article R. 215-15 doit satisfaire aux conditions suivantes :
1° Justifier de la possession d'un diplôme ou titre de niveau III inscrit au répertoire national des certifications professionnelles.
2° Avoir les compétences techniques et les qualités relationnelles nécessaires à l'activité de soutien technique.
3° Satisfaire aux conditions prévues à l'article L. 133-6.
» (interdiction d'avoir été condamné pour certains types de délits)

Les tuteurs familiaux pourront ainsi bénéficier eux aussi de la professionnalisation du secteur mis en oeuvre dans la réforme (même si le décret ne va pas jusqu'à poser le CNC de MJPM comme pré-requis).

On notera également le souci de préserver la confidentialité des informations sur le majeur ainsi que la notion d'intervention "ponctuelle". Cette dernière vise peut-être à éviter l'apparition d'une influence trop grande du soutien sur le tuteur familial. Ou encore à départager le soutien technique et le conseil, ce dernier ne pouvant être prodigué que par des professions spécifiques.

Des conditions pratiques qui comportent encore beaucoup d'inconnues

Ce projet est remarquablement ambitieux mais il comporte encore beaucoup d'inconnues pourtant essentielles pour les tuteurs familiaux :

Quand la loi écrit que "les personnes [...] bénéficient, à leur demande, d'une information [...]", le décret indique quant à lui que "A sa demande, l'intéressé peut bénéficier d'un soutien technique [...]". L'usage du verbe pouvoir est quelque peu ambigü. On peut l'interpréter comme signifiant "l'intéressé a la possibilité de bénéficier" ou bien "l'interessé bénéficie éventuellement". Dans le premier cas il s'agit bien d'un droit au soutien technique, mais dans le second cas il s'agit d'une possibilité offerte sous certaines conditions, au premier rang desquelles l'existence d'un tel dispositif. Notre avis penche pour la seconde interprétation, la première formulation étant un pléonasme.

Quoiqu'il en soit, en pratique, la seconde interprétation prévaut puisque d'ores et déjà le droit à l'information est loin d'être satisfait dans tous les tribunaux. A fortiori le soutien technique ne sera donc pas disponible partout avant longtemps. Ce qui nous conduit logiquement à la question suivante :

Aucune échéance n'étant précisée, il reste à espérer que les tuteurs familiaux n'attendront pas des années.

S'agissant du droit à l'information on peut supposer que ce service sera gratuit puisqu'il s'agira d'un document ou d'un site internet.

S'agissant du soutien technique, en revanche, peut-on imaginer que l'ensemble des prestations envisagées soient gratuites ? Comment l'Etat pourrait-il financer cela alors qu'il manque déjà de moyens pour assurer efficacement le contrôle des comptes annuels ? Il est vrai que ce dispositif ne ressort du budget de la Justice, mais du Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

Différentes situations sont envisageables :

1) Si la réforme réussit à diminuer le coût global des mesures de protection confiées aux professionnels, les économies réalisées pourrait servir à financer l'aide aux tuteurs familiaux.

2) Si l'on montre que le dispositif d'aide aux tuteurs est un facteur de réduction substantielle de divers coûts (mesures confiées aux professionnels, litiges), alors ce serait un argument budgétaire pour justifier au moins une partie du coût de ce dispositif.

3) Enfin, si les pouvoirs publics décident de doter en priorité l'aide aux tuteurs familiaux, alors le financement viendra soit d'un prélèvement sur un autre budget soit à l'occasion de nouvelles marges de manoeuvres budgétaires.

4) Une partie des prestations pourraient être payante, ce qui conduirait le dispositif à s'autofinancer partiellement.

Cette dernière hypothèse conduit directement à la question suivante :

Autant de questions sans réponses. On peut imaginer que le mode de fonctionnement de dispositifs tels que les points d'accès au droit soit repris, mais on entre dans de la pure conjoncture. Concrètement nous n'avons aucun élément de réponse.

Un premier pas vers l'apparition d'une réelle réponse au besoin des tuteurs familiaux ?

Concrètement, les tuteurs famlliaux auront-ils demain des solutions, publiques ou privées, pour répondre à leurs besoins, et lesquelles ? Auront-ils des points de repère suffisant pour s'orienter et choisir une solution adaptée à leur situation ?

Pour répondre il faudrait disposer d'au moins quelques éléments de réponse aux questions suivantes :

En l'absence d'information sur les financements alloués ni sur la participation financière qui sera éventuellement demandée au tuteur familial en fonction de la prestation reçue, le décret ne permet de privilégier aucun scénario plutôt qu'un autre.

Tout au plus pouvons-nous constater qu'en posant les bases d'un soutien technique de qualité pour les tuteurs familiaux, le décret fixe à la fois les règles que devront suivre les représentants de l'Etat pour organiser le service qui lui incombe, mais il propose également à tous les autres acteurs existants ou futurs des critères qualitatifs pour cadrer leurs offres, et aux tuteurs familiaux des critères pour s'assurer de la qualité de la prestation qu'ils reçoivent. A cet effet il pourrait d'ailleurs être judicieux de rassembler ces critères dans un label pour une meilleure visibilité auprès des tuteurs familiaux.

Le décret n° 2008-1507 constitue donc un premier pas vers une réponse structurée aux besoins des tuteurs familiaux. Réjouissons-nous en et espérons que les pas suivants ne se feront pas attendre trop longtemps.

Pour consulter le texte complet du décret : cliquer ICI