Droits de la Personne | Actualité - écrit par Cabinet T.R. AVOCAT - dernière mise à jour le 15 février 2022

EHPAD et tutelles : comment éviter les placements arbitraires

Article rédigé par Me Thierry Rouziès, Avocat au Barreau de PARIS, spécialiste du Droit de la Protection des Majeurs – 9/02/2022

 

Le scandale ORPEA pose ou repose la question de la place des EHPAD et de la prise en charge de la dépendance en FRANCE. Bien sûr, le manque de moyens alarmant au regard des bénéfices des actionnaires de sociétés privées chargées d'une mission de service public est insupportable.

Au-delà de ces considérations financières et éthiques choquantes, il faut absolument replacer l'existence de ces établissements dans un contexte de vieillissement de la population et de dépendance liée au grand âge.

L'espérance de vie certes croit mais s'accompagne d'une dépendance plus forte des plus âgés.

Les EHPAD existent et sont nécessaires pour palier l'impossibilité d'un maintien à domicile ou la mise en place d'une aide familiale adaptée à la dépendance de son parent.

Les EHPAD existent et doivent exister pour répondre à une demande forte de familles totalement démunies face à la dépendance et au refus de leur parent (souvent en raison du déni d'une pathologie) de quitter le domicile.

Car le problème est bien celui-ci : le placement en EHPAD est dans la majorité des cas imposé aux futurs résidents. Rares sont les cas de personnes décidant elles-mêmes de partir s'installer dans ces lieux de vie.

Cette décision est d'autant plus difficile qu'elle convoque une forte culpabilité de la famille de ne pas être capable d'accompagner son parent (matériellement ou psychologiquement en raison d'une pathologie trop lourde) et de finalement l'abandonner à son sort et contre sa volonté.

La moyenne d'âge d'une personne intégrant un EHPAD est de 86 ans selon les dernières statistiques.

C'est un âge avancé où souvent la dépendance et les troubles psychologiques sont à l'origine d'un placement sous protection juridique, habilitation, curatelle ou tutelle.

Plus une personne est dépendante et incapable d'exprimer sa volonté, plus la mesure de protection est forte. Ainsi, une personne sera placée sous tutelle si elle est incapable d'exprimer un souhait ou inconsciente de son état de santé.

Or, c'est ce type de population qui en général se retrouve placée en EHPAD.

Mais si la personne concernée par une institutionnalisation est incapable d'exprimer sa volonté ou refuse d'être placée contre son gré, qui peut décider à sa place?

Le dispositif légal en matière de mesures de protection est extrêmement protecteur et pose comme principe sacré le maintien à domicile d'une personne majeure protégée aussi longtemps que cela est possible.

L'article 459-2 du Code civil est rédigé ainsi : "la personne protégée choisit son lieu de résidence. En cas de difficulté, le juge statue".

 

Cet article s'applique à toutes les mesures de protection. 

Quelles sont les règles à suivre ? 

1) Ce principe signifie que l'on doit rechercher si le majeur protégé peut exprimer sa volonté quant à son placement en EHPAD.

Sous curatelle, le majeur protégé peut toujours exprimer sa volonté et sera entendu par le juge des tutelles qui arbitrera si le placement est nécessaire.

Le meilleur moyen de valider cette expression de volonté sous tutelle est d'obtenir un certificat médical d'un médecin expert qui pourra constater si, bien que sous tutelle, la personne protégée dispose d'une lucidité suffisante pour exprimer sa volonté sur son placement en EHPAD.

2) le placement en EHPAD est-il la seule solution? le maintien à domicile est-il impossible?

Une fois que le juge aura auditionné le majeur protégé, ou obtenu un certificat médical démontrant l'impossibilité de ce dernier d'exprimer sa volonté, il devra rechercher si le placement en EHPAD est effectivement la meilleure solution dans l'intérêt du majeur protégé.

Pour ce faire, un avis médical est nécessaire pour répondre aux questions suivantes :

Avant de prendre la décision de placer un majeur protégé en EHPAD, le juge des tutelles doit d'assurer que le tuteur aura répondu à toutes les questions relatives au maintien ou non à domicile. 

Le budget n'est jamais un obstacle. En d'autres termes, si toutes les économies de la personne protégée doivent être dépensées pour garantir son maintien à domicile dans de bonnes conditions, le juge refusera le placement en EHPAD. De même, le juge pourra enjoindre le tuteur à faire appel aux obligés alimentaires (les enfants, petits-enfants et conjoints mariés des enfants) pour financer le maintien à domicile.

Le placement en EHPAD n'interviendra que lorsque tout aura été étudié pour maintenir la personne chez elle tant sur le plan matériel que financier.

Cette protection de la loi est donc un rempart contre les placements arbitraires.

Le placement sous protection de son parent est aussi un moyen de transférer la prise de décision de placement en EHPAD sur le juge et le tuteur plutôt que sur les enfants souvent en désaccord sur cette question.

3) Un autre moyen efficace d'organiser un placement en institution dans des conditions sereines est de le prévoir à l'avance.

Ainsi, en rédigeant un mandat de protection future, la personne encore saine d'esprit peut décider elle-même du choix de son futur lieu de résidence si jamais  un placement intervenait dans le futur.

Cela permet de respecter le souhait d'une personne au moment où cette volonté ne peut malheureusement plus s'exprimer. 

 

Bien sûr, la vigilance doit toujours être de mise y compris lorsque votre parent est placé sous tutelle. Il faut veiller à ce que les règles que je viens d'énoncer soient effectivement respectées par le tuteur et que le juge soit effectivement saisi avant tout placement chaque fois que le majeur sous tutelle n'est plus en mesure d'exprimer sa volonté.

Les tuteurs professionnels connaissent et respectent ces règles. Les tuteurs familiaux en revanche sont souvent démunis sur l'application de ces règles et doivent prendre conseil auprès de professionnels (mandataires judiciaires à la protection des majeurs offrant du support aux tuteurs familiaux, le juge des tutelles en charge du dossier ou un avocat spécialisé) pour éviter d'engager leur responsabilité.

Sur le plan juridique, le juge des tutelles rend une ordonnance de placement en EHPAD chaque fois que la preuve de l’impossibilité du maintien à domicile est établie. Ce placement est également obligatoirement conditionné par la remise d'un certificat médical de non retour à domicile.  

De son côté, l'EHPAD ne peut considérer le placement du résident comme définitif qu'une fois que le tuteur aura été autorisé par le juge des tutelles à signer le contrat d'hébergement. 

4) Enfin, il convient de rappeler que l'article 426 du Code Civil énonce que "Le logement de la personne protégée et les meubles dont il est garni, qu'il s'agisse d'une résidence principale ou secondaire, sont conservés à la disposition de celle-ci aussi longtemps qu'il est possible".

En application de cet article, le tuteur doit conserver le logement d'une personne placée en EHPAD aussi longtemps que possible, c'est à dire si ce maintien ne porte pas préjudice aux intérêts de la personne.

La Loi est attachée à la conservation du patrimoine de la personne protégée, quand il existe, aussi longtemps que possible. En effet, ce bien peut par exemple figurer sur le testament du majeur protégé, dont on ignore l'existence ou le contenu. Conserver le logement dans le patrimoine revient donc à respecter les dernières volontés du majeur protégé après son décès.

En pratique, en présence d'un logement sous contrat de location, le placement en EHPAD entrainera la résiliation du contrat. Il est assez rare que le maintien d'un loyer pour un logement non habité soit considéré comme étant dans l'intérêt du locataire.

En revanche, lorsque le logement est un bien appartenant au majeur protégé, la conservation du bien est le principe, quand son budget le permet. Il ne sera vendu que si les charges trop lourdes (et notamment le financement de l'EHPAD) nécessitent de vendre le bien.

Le bien pourra également être loué pour générer un revenu qui financera l'EHPAD. 

En conclusion, contrairement aux idées reçues, un placement sous tutelle est une garantie contre les placements non souhaités en EHPAD par les personnes âgées dépendantes.

Le principe du maintien à domicile, le contrôle et l'autorisation du juge des tutelles pour placer une personne en institution sont autant de freins à un placement arbitraire.

Toutefois, pour éviter les écueils des placements non souhaités en EHPAD, il est nécessaire de connaître toutes les étapes du contrôle telles que visées ci-dessus et de saisir le tuteur ou le juge des éventuelles difficultés.

Je ne peux évidemment que vous encourager à vous faire assister d'un avocat spécialisé qui saura vous conseiller et vous guider pour protéger aux mieux les intérêts de votre parent âgé et dépendant. 

Cabinet T.R. AVOCAT
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