Respecter les droits fondamentaux des personnes âgées

Les personnes âgées et le respect de leurs droits fondamentaux ©Getty - © Kentaroo Tryman / Collection Maskot
Les personnes âgées et le respect de leurs droits fondamentaux ©Getty - © Kentaroo Tryman / Collection Maskot
Les personnes âgées et le respect de leurs droits fondamentaux ©Getty - © Kentaroo Tryman / Collection Maskot
Publicité

L’entrée dans un EPHAD, institution qui limite nombre de libertés, à commencer par celle d’aller et de venir, est le résultat de décisions successives prises pour autrui, autant de mini-décisions qui échappent aux principaux intéressés.

Avec
  • Anne Caron-Déglise Magistrate, avocate générale à la Cour de cassation, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)
  • Fabrice Gzil Professeur à l’École des hautes études en santé publique, directeur adjoint de l’Espace éthique d’Île de France, chercheur en éthique et philosophie de la santé au CESP (Inserm/Université de Paris Saclay), membre du CCNE

Évaluation de la perte d’autonomie, construction d’un consensus parmi les proches, choix concret d’un établissement, course aux places disponibles… autant de mini-décisions qui échappent aux principales intéressées, les personnes âgées. Les atteintes aux droits fondamentaux sont possibles mais elles sont moins visibles, moins aisément repérables que dans d’autres situations, d’autant qu’elles sont causées par des membres de la famille ou des soignants les mieux intentionnés du monde. Comment apprécier le consentement in concreto de la personne admise en EPHAD ?

Fabrice Gzil "Nous sommes face à une situation démographique nouvelle. Dans les années et les quelques décennies qui viennent, nous allons avoir un accroissement très important du nombre de personnes âgées. Une personne sur quatre aura plus de 65 ans en 2040, et les plus de 60 ans, qui sont 15 millions aujourd'hui, seront 24 millions en 2060, et il y a surtout les très âgés dont le nombre va augmenter : les plus de 85 ans qui sont 1 million et demi aujourd'hui, et seront 5 millions en 2060."

Publicité

Anne Caron-Déglise "Il faut changer de paradigme et que l'avancée en âge ne soit pas signe de dépendance, que les difficultés à prendre des décisions, les mises en danger parfois n'appellent pas obligatoirement une prise de décision par l'intermédiaire soit du secteur social, soit d'une décision de protection de type curatelle ou tutelle. [...] Si nous partons d'un principe inverse qui consiste à dire que toute personne est présumée capable, mais capable quelquefois autrement, avec un peu plus de temps dans une société qui en manque, évidemment, on tombera dans une autre logique".

Comment adapter le respect des droits fondamentaux à la situation de dépendance ? Comment combiner le droit à la protection de la personne d’une part avec la protection du consentement du respect de la dignité humaine de l’autre ? Comment protéger à proportion du nécessaire, le temps nécessaire sans disqualifier la personne protégée ? Comment, plus généralement, adapter le droit au vieillissement ?

Anne Caron-Déglise "Il n'y a pas de présomption de vulnérabilité et la question de la capacité des personnes à prendre une décision pour elles-mêmes, est une question qui se pose à tous les stades, à tous les âges, et qui reste bien présente à la fois parce que, fondamentalement, une personne peut tout à fait comprendre si on prend le temps de lui expliquer ce qui lui arrive, qu'elle peut exprimer ses préférences, et qu'à défaut d'un consentement, elle peut exprimer des refus et  l'avancée en âge n'est pas la signification d'une incapacité à décider."

Tel sera le débat d’Esprit de justice qui aura pour invités, Anne Caron-Déglise, magistrate, avocate générale à la Cour de cassation, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), auteure d’un article intitulé : “Le vrai rôle du droit, l’esprit des lois, les arbitrages, dans un volume intitulé : Droit, éthique et dépendance”, qui vient d’être publié par les PUF sous la direction de Roger-Pol Droit et Karine Lefeuvre, et Fabrice Gzil, professeur à l’École des hautes études en santé publique, directeur adjoint de l’Espace éthique d’Île de France, chercheur en éthique et philosophie de la santé au CESP (Inserm/Université de Paris Saclay), membre du CCNE, qui a consacré un chapitre de son dernier livre aux problèmes de l’éthique et de la philosophie du soin au grand âge.

Fabrice Gzil "Il y a un paradoxe à vieillir aujourd'hui qui est que l'une des premières conséquences, c'est que l'on a besoin de plus de temps pour faire un certain nombre de choses. [...] Indépendamment du manque de temps des médecins, des équipes, des magistrats, il y a une société qui s'accélère énormément et qui nous demande d'aller vite. Et donc là, on a une tension importante pour des personnes qui avancent en âge parce qu'elles ont besoin de plus de temps pour se déplacer, pour taper un numéro de compte bancaire, pour comprendre une information, pour exprimer leur pensée."

Anne Caron-Déglise "Les personnes âgées elles-mêmes se pensent comme des fardeaux et disent très souvent "je ne veux pas être une charge pour mes enfants". Donc, si on ne réintroduit pas cette relation qui consiste à dire que c'est une avancée en âge qui est finalement un retour sur ce que l'on a déjà donné, il faut que la relation persiste pour qu'elles-mêmes ne s'excluent pas du monde. [...] Ce sont des personnes qui peuvent donner aussi, du point de vue matériel, à leurs enfants, à leurs petits enfants et qui sont une force économique très importante, précisément parce qu'elles donnent, elles reçoivent, et elles donnent à partir du moment où l'on maintient cette relation entre les générations."

À écouter ou à réécouter : La gestion du grand âge
L'Esprit public
33 min
Le Pourquoi du comment : économie et social
4 min

Anne Caron-Déglise "La question de l'entrée en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, c'est en réalité la question du choix du lieu de vie, du domicile, du chez soi, du lieu dans lequel la personne va continuer son parcours. Et normalement. La liberté fondamentale, essentielle, c'est la liberté, le droit à la vie privée et familiale. Et donc, en principe, cette décision ne devrait pas être une décision substitutive mais une décision qui devrait être prise par la personne elle-même."

Fabrice Gzil "Par ailleurs, à la question de la réticence à aller vivre en maison de retraite, ce qui est intéressant c'est d'essayer de comprendre quelle est la source de cette réticence chez elle, et qui n'est pas forcément une réticence générale. Ça peut être une réticence à la vie collective, une réticence liée aux représentations que l'on a de ces établissements, ou le fait d'abandonner un lieu dans lequel on a ses repères, la maison dans laquelle on a élevé ses enfants..."

Pour aller plus loin

Fabrice Gzil "Il y a deux choses qui me semblent fondamentales : la première, celle d'aller toujours rechercher l'expression de la parole individuelle de la personne âgée. On a un enjeu de prise de parole collective sur la scène publique, des personnes âgées elles-mêmes. On a un certain nombre de collectifs qui se créent, d'associations. [...] Cette constitution d'une parole collective va pouvoir peser sur la préservation des droits. L'autre point de vigilance, ce sont les solidarités familiales. Les familles ne sont pas toutes pacifiées, mais je pense que celles et ceux qui actuellement, socialement, défendent les droits des personnes âgées, ce sont très souvent les familles."

Anne Caron-Déglise "Je crois qu'il est absolument indispensable de mener une vraie politique de soutien des aidants, Un certain nombre de choses sont faites, mais il faut aller plus loin, en leur donnant les moyens, éventuellement, d'avoir des périodes de répit, et de pouvoir être soutenues dans un exercice qui est très difficile et qui souvent met en cause leur stabilité aussi. La deuxième chose essentielle, c'est d'inscrire une politique publique transversale qui comprenne à la fois la dimension sociale et médico sociale, la dimension de la santé au sens des soins et qui ait cette composante de l'intervention juridique, parce qu'il faut permettre aux personnes qui sont encore en capacité de le faire, d'anticiper leur protection et de prévoir quelle est la ou les personnes importantes qui pourront les aider dans leurs prises de décisions."

Les Discussions du soir avec Antoine Garapon
44 min

Extraits musicaux

  • Morceau choisi par Fabrice Gzil : " La rêveuse " (Pièces de viole, 4ème livre, Suite d’un goût étranger XXVIII), de Marin Marais, interprétée par Jean-Guihen Queyras (violoncelle baroque) et Alexandre Tharaud (Piano) - Harmonia Mundi (2023).
  • Morceau choisi par Anne Caron-Déglise : " Sonate n° 3 en mi majeur, BMW 1016 - 3è mouvement" de Jean-Sébastien Bach, interprétée par Renaud Capuçon (violon) et David Fray (piano) (2019).

L'équipe