Droits de la Personne | Actualité - écrit par Serezo Avocat - dernière mise à jour le 15 janvier 2025

Le divorce des majeurs protégés : Une liberté encadrée pour protéger les plus vulnérables

Le divorce est une décision majeure dans la vie de tout individu. Lorsqu’il concerne une personne vulnérable qui fait l’objet d’une mesure de protection juridique, cette démarche peut devenir encore plus complexe.

En France, le législateur y a apporté des réformes significatives, notamment avec la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, visant à renforcer l’autonomie des majeurs protégés tout en assurant leur sécurité juridique.

Cet article apporte un éclairage sur les principales questions en matière de divorce des majeurs qui font l’objet d’une mesure de protection judiciaire (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle).

1 – L’examen de la demande de divorce est suspendu en cas de procédure pendante aux fins d’ouverture d’une mesure de protection.

Afin de protéger les personnes vulnérables non protégées, l’article 249-3 du Code civil interdit l’examen d’une demande en divorce lorsqu’un des époux fait l’objet d’une procédure aux fins d’ouverture d’une mesure de protection juridique.
La demande en divorce ne pourra donc être examinée qu’après l’ouverture de la mesure.

En revanche, dans cette attente, le juge aux affaires familiales peut prendre des mesures provisoires prévues aux articles 254 et 255 du Code civil. Il peut par exemple :

Par ailleurs, il semble que les époux peuvent divorcer dès lors qu’une mesure est décidée, même s’il s’agit d’une sauvegarde de justice provisoire. En pratique, cette possibilité peut toutefois se heurter à une difficulté. En effet, la sauvegarde de justice ne fait pas l’objet d’une publicité par une mention en marge de l’acte de naissance : ainsi, si le majeur protégé n’indique pas que ladite mesure a été ouverte, le juge aux affaires familiales et les avocats peuvent ne pas en être informés.

2 – La décision de divorcer est un acte personnel qui ne donne lieu ni à assistance (curatelle) ni à représentation (tutelle).

L’article 458 du Code civil prévoit que l'accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée.

Ainsi, parce qu’elle participe des décisions strictement personnelles, l’intention de divorcer doit être réservée au majeur protégé quelle que soit la mesure de protection ouverte et quelle que soit la cause du divorce envisagé.

En revanche, le protecteur participera bien à l’instance en divorce.

3 – Le curateur ou tuteur participe à l’instance en divorce.

L’article 249 du Code civil dispose notamment que « Dans l'instance en divorce, le majeur en tutelle est représenté par son tuteur et le majeur en curatelle exerce l'action lui-même, avec l'assistance de son curateur ».

Il convient de préciser que le curateur ou tuteur ne participe à la procédure que s’il n’est pas en opposition d’intérêts avec le majeur protégé. En effet, en pareille hypothèse, il reviendra au subrogé curateur ou subrogé tuteur d’intervenir. À défaut, il conviendra de demander au juge des tutelles la désignation d’un curateur ou tuteur ad hoc (article 249-2 du Code civil).

En conclusion, le majeur protégé en curatelle exerce l’action avec l’assistance de son curateur (en demande comme en défense) : cette solution vaut pour toute action en justice (article 468 du Code civil).

En revanche, le majeur protégé en tutelle est représenté par son tuteur dans l’instance en divorce (en demande comme en défense).

4 – Le majeur protégé peut désormais divorcer pour acceptation du principe de la rupture du mariage.

La grande innovation introduite par la loi du 23 mars 2019 consiste en la possibilité offerte au majeur protégé en curatelle ou en tutelle de pouvoir divorcer pour acceptation du principe de la rupture du mariage, conformément aux articles 233 et suivants du Code civil.

Ainsi, les majeurs protégés sous curatelle ou tutelle et leurs conjoints peuvent désormais avoir recours à toutes les formes de divorce, sauf le divorce par consentement mutuel.

5 – Le majeur protégé ne peut toujours pas recourir au divorce par consentement mutuel

Le majeur protégé n’a toujours pas accès au divorce par consentement mutuel. En effet :
L’article 229-2 du Code civil dispose que « Les époux ne peuvent consentir mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats lorsque (…) 2° L'un des époux se trouve placé sous l'un des régimes de protection prévus au chapitre II du titre XI du présent livre. » ;
L’article 249-4 du Code civil dispose que « Lorsque l'un des époux se trouve placé sous l'un des régimes de protection prévus au chapitre II du titre XI du présent livre, aucune demande en divorce par consentement mutuel ne peut être présentée ».

Cette impossibilité trouve notamment sa raison d’être dans la volonté du législateur de protéger le majeur sous curatelle ou tutelle par l’intervention du juge, notamment pour qu’il détermine les conséquences du divorce (liquidation du régime matrimonial, définition de la prestation compensatoire, conséquences sur l’autorité parentale, etc.).

Cette impossibilité est toutefois critiquée, notamment par le Défenseur des droits dans un rapport de septembre 2016. Elle est notamment perçue par certains comme une atteinte à la liberté individuelle des majeurs protégés. Elle peut également avoir pour conséquence de parfois complexifier inutilement le divorce.

Dans le futur, il pourrait ainsi être envisagé d’ouvrir aux majeurs protégés le divorce par consentement mutuel, mais en l’aménageant, par exemple en faisant intervenir le juge qui aura pour mission d’homologuer, ou non, la convention de divorce. D’autant plus qu’une telle procédure existe déjà, pour les époux dont l’un des enfants mineurs demande à être entendu par le juge.

Conclusion

Le divorce des majeurs protégés en France reflète l’équilibre subtil entre respect de l’autonomie individuelle et besoin de protection. La loi du 23 mars 2019 a marqué une avancée en clarifiant les droits des personnes vulnérables, mais des ajustements restent possibles pour simplifier les procédures tout en préservant la sécurité des majeurs protégés. Au-delà des aspects juridiques, chaque divorce implique des enjeux humains profonds, et l'accompagnement des professionnels impliqués (mandataires judiciaires à la protection des majeurs, avocats, etc.) reste essentiel pour garantir une séparation équitable et respectueuse.

Yann-Mickaël Serezo
Avocat au Barreau de Paris

Serezo Avocat
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