De l’intérêt du recours au Mandat de Protection future par Acte d’Avocat : l’alternative aux mesures de protections judiciaires

Le mandat de protection future est un contrat consenti librement et qui permet d’organiser à l’avance la protection personnelle, à la fois physique et/ou mentale des intérêts d’une personne et de son patrimoine, dans l’hypothèse d’une situation future d’empêchement d’expression de sa volonté.

Cet outil juridique existe en parallèle des mesures judiciaires de sauvegarde, de tutelle et de curatelle et a vocation à anticiper l’hypothèse d’une situation de perte des facultés intellectuelles et/ou corporelles sans intervention du Juge.

Les articles 477 et suivants du Code civil prévoient ainsi la possibilité pour une personne d’anticiper la perte ou une altération de ses capacités en lui permettant de désigner une ou plusieurs personnes de confiance dans son entourage, ou encore un mandataire professionnel (avocat, notaire, mandataire judiciaire à la protection des majeurs) ayant mandat pour représenter ses intérêts : au plan personnel (loisirs, religion…) et au plan patrimonial (gestion des biens).

La gestion du mandat est divisible, de sorte qu’un mandataire peut être désigné aux biens de la personne protégée, et un autre à ses intérêts personnels.

Le mandataire désigné agit en représentation des intérêts de la personne, conformément à ses intérêts, et dans les limites du mandat établi.

Lorsque le mandataire constate que l’état de santé du mandant ne lui permet plus de prendre soin de sa personne et /ou d’assurer la gestion satisfaisante de ses biens, il accomplit les démarches nécessaires en vue de la prise d’effet du mandat.

Dans un premier temps, l’établissement d’un certificat médical dit « circonstancié », établi par un médecin expert habilité et constatant une altération des facultés du mandant est nécessaire pour activer le mandat de protection.

Dans un second temps, le mandant et le mandataire doivent saisir le Greffe du Tribunal judiciaire compétent afin que soit apposé un visa sur le mandat en vue de sa mise en œuvre effective.

Jusqu’à cette prise d’effet, il est donc toujours possible de modifier le contenu du mandat ou de l’annuler.

Il est important de préciser que, contrairement aux mesures judiciaires de tutelle ou de curatelle prononcées par le Juge des Tutelles, le mandant conserve tous ses droits et sa capacité juridique.

Lors de la prise de missions, il est dressé par le mandataire un inventaire du patrimoine du mandant, et un compte rendu de mission est établi chaque année auprès de la personne désignée chargée du contrôle de l’exécution du mandat

Le mandat de protection future permet ainsi à une personne d’organiser sa protection personnelle en évitant le recours à la mise en œuvre d’une procédure judiciaire de tutelle ou de curatelle, plus contraignante et formaliste dans certains cas.

Il peut être conclu par acte notarié, ou sous seing privé, contresigné par un avocat.

L’intérêt de recourir à la rédaction d’un acte sous seing privé contresigné par un avocat permet, notamment, de conférer à l’acte une date certaine.

Dans l’hypothèse d’un désaccord ou d’un manquement dans la gestion du mandat, le juge des contentieux de la protection a vocation à trancher le contentieux, voire prononcer une mesure de tutelle ou de curatelle, mettant un terme au mandat de protection future.

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La médiation dans la protection des personnes vulnérables

Ces dernières années, le droit de la famille a fait le choix d’une justice familiale concertée. Les lois récentes encouragent le développement de la médiation et consacrent un véritable droit à un règlement alternatif des différends. La justice de protection, portée par le juge des tutelles, est demeurée hors du champ d’application de ces réformes. De nombreuses situations pourraient cependant se prêter à une médiation conventionnelle ou à une médiation judiciaire. Au nom de la protection des personnes, sont parfois prises des décisions inadaptées au regard d’une réalité complexe ou évolutive, qui n’a pas été appréhendée de manière satisfaisante. Dans cette matière, la médiation, à condition d’être conduite avec beaucoup de précaution et uniquement dans des situations qui s’y prêtent, pourrait permettre une meilleure prise en compte de la personne à protéger, dans sa dimension sensible, mais aussi dans son environnement.

La médiation conventionnelle

Elle est née d’une pratique qui s’est développée en France depuis les années 70 suivant un modèle anglo-saxon. Cette pratique a été organisée puis codifiée en France par une ordonnance du 16 novembre 2011. La médiation conventionnelle est un processus par lequel les personnes concernées tentent de parvenir à un accordou de mettre en place un projet, en dehors de toute procédure judiciaire, avec l’aide d’un médiateur choisi par elles, neutre et impartial. La médiation requiert le consentement des participants. Le médiateur est nécessairement un professionnel. Tout ce qui s’échange en médiation demeure confidentiel.

La présence du médiateur a avant tout pour objectif de faire circuler la parole, en tenant compte du besoin de reconnaissance mutuelle de chacun. Elle permet aux personnes concernées de travailler ensemble sur les questions posées par la maladie ou la dépendance d’un proche et peut stimuler la coopération entre les proches et la famille, autour de la personne à protéger, et ainsi prévenir des conflits.

Le contact avec la personne vulnérable nécessite une attention toute particulière puisqu’il s’agira souvent d’une personne diminuée ou fragile. La médiation est un processus souple, dans lequel le médiateur, tiers neutre et impartial, dispose d’une grande liberté pour recueillir et transmettre la parole, y compris celle des plus fragiles.

Ainsi, il arrive que le certificat médical circonstancié, nécessaire à l’ouverture d’une mesure de protection, soit difficile à obtenir dans un contexte familial, tant il peut être stigmatisant. Le recours à la médiation peut alors permettre de dépasser les angoisses, d’exprimer le besoin d’aide et de chercher les réponses les plus adaptées. L’initiative peut émaner des services sociaux, d’un notaire, d’un médecin, de membres de la famille ou même de proches. Si l’ouverture d’une mesure de protection juridique se révèle nécessaire, les étapes médicales et juridiques pourront être expliquées et mises en place de manière progressive et apaisée, dès lors que le choix de la mesure et le choix du protecteur auront fait l’objet de concertations et d’échanges avant la rencontre avec le juge.

La médiation judiciaire

Lors de l’ouverture de la mesure, la personne à protéger et ses proches, vont être entendus par le juge des tutelles. Cette audition permet de recevoir l’information sur la procédure engagée, ses motifs et ses conséquences. Elle est également le moment où la personne peut s’exprimer devant le juge. Elle est parfois celui de la confrontation avec des membres de la famille ou des proches. Ces moments peuvent être difficiles à vivre.

Dans certains cas, on pourrait cependant envisager que le juge des tutelles, saisi d’une demande d’ouverture, instruit par le certificat médical circonstancié, propose lui-même de recourir à une médiation. Après avoir recueilli l’accord des personnes concernées, il désignerait le médiateur, à l’image de ce qui existe devant le juge aux affaires familiales (articles 255 et 373-2-10 du code civil).

Il appartiendrait alors au médiateur de contacter les personnes concernées, de leur donner l’information nécessaire sur le processus de médiation, mais aussi sur les différents régimes de protection, les enjeux concrets, les conséquences.

A l’issue de la médiation, qu’il y ait eu ou non « consensus », le juge des tutelles appréhenderait très vraisemblablement des problématiques enrichies, tant la médiation a le mérite de poser les vraies questions et de faire bouger les lignes.

A l’heure actuelle, aucun texte n’ouvre explicitement au juge des tutelles la possibilité de proposer une médiation familiale, contrairement à ce qui existe pour le juge aux affaires familiales. Néanmoins, il est constant que les articles 131-1 et suivants du code de procédure civile, relatifs à la médiation judiciaire, s’appliquent en toute matière. Il n’y a donc aucune raison de l’écarter devant le juge des tutelles, d’autant que le juge recherche l’intérêt de la personne à protéger mais n’est pas indifférentaux équilibres familiaux dès lors qu’ils concourent au bien-être de la personne.

Dans certaines situations, une médiation initiée par le juge des tutelles (ou en amont par le procureur de la République) pourrait aider, tout à la fois la personne vulnérable,la famille et le juge à trouver la mesure la plus adaptée.

La médiation, le droit et le juge des tutelles

Le développement de la médiation révèle l’émergence d’un comportement civique nouveau. L’Etat providence, qui a tant empiété sur la société civile (souvent à la demande de celle-ci) affronte une onde qui va en sens inverse par l’action de personnes souhaitant se réapproprier leur vie personnelle et familiale. Plus large qu’un mode alternatif de résolution des conflits, la médiation a pour fonction la construction ou la reconstruction du lien social.

Néanmoins, le droit encadre la médiation comme toute activité humaine et la médiation doit respecter le droit. Elle ne peut déboucher sur une situation illégale, quand bien même cette dernière recevrait l’assentiment des participants. Le juge des tutelles, en tant que gardien des libertés individuelles, conserve sa mission de protection des personnes vulnérables et de surveillance des mesures de protection.

Une connaissance précise par le médiateur des règles qui gouvernent la protection juridique des majeurs est donc nécessaire. Des listes de médiateurs formés aux problématiques familiales sont disponibles auprès des juridictions. Le coût d’une
médiation est en fonction du nombre de réunions nécessaires pour parvenir à un accord (ou au constat de désaccord). En moyenne, deux à trois réunions sont nécessaires, dans un laps de temps qui peut être court.

L’évolution actuelle du droit des majeurs protégés, avec notamment le développement de l’habilitation familiale, s’enrichirait incontestablement de l’apport de la médiation, dans un domaine où les enjeux sont chargés d’affects et dépendent largement de la circulation de la parole entre les intéressés.

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La gestion d’affaires

LA GESTION D’AFFAIRES

La gestion d’affaires est une obligation souvent méconnue des organes de la mesure de protection judiciaire et pourtant fondamentale.

L’article 418 du Code civil précise :

« Sans préjudice de l’application des règles de la gestion d’affaires, le décès de la personne protégée met fin à la mission de la personne chargée de la protection ».

La représentation ou l’assistance se termine par le décès.

Pour autant, la mission de la personne chargée de la protection continue dans le cadre de la gestion d’affaires qui est prévue par les articles 1372 et suivants du Code civil.

Il s’agit des règles du quasi-contrat.

La gestion d’affaires impose (ce n’est pas un choix pour la personne qui est chargée de la mesure de protection) de prendre toutes les mesures nécessaires pour achever sa mission et éviter qu’il y ait des conséquences préjudiciables aux intérêts des tiers et des héritiers.

Cela consiste en pratique à se charger des obsèques (avec la mise en œuvre d’une convention spécifique d’obsèques qui aurait été signée), de faire respecter les volontés du défunt (dans les limites des moyens dont on dispose) quant à son enterrement, de saisir un Notaire, de licencier, en leur fournissant tous les documents administratifs nécessaires, le ou les salariés, de prévenir les établissements bancaires, de prévenir les héritiers potentiels connus etc.

Cette mission est parfois fort simple.

Elle peut être beaucoup plus complexe notamment dans le cadre d’une personne ayant un patrimoine important qui nécessite un certain nombre de paiements notamment fiscaux.

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L’articulation du mandat de protection future et des mesures de protection judiciaire

Introduction

Le mandat de protection future permet à une personne qui est en mesure d’exprimer un consentement libre et éclairé, d’anticiper l’organisation de sa vie quotidienne, de ses affaires courantes ainsi que la gestion de ses biens en cas d’altération à venir de ses facultés mentales ou physiques, en désignant la personne de son choix.

Introduit dans notre système légal par la loi du 5 mars 2007, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, le mandat de protection future offre une alternative conventionnelle, qui cohabite avec les différentes mesures de protection qui peuvent être judiciairement ordonnées, évitant ainsi le recours, parfois douloureux, au juge des tutelles.

Concrètement, le mandat de protection future peut prendre la forme d’un acte notarié ou d’un acte sous seing privé.

Lorsque les conditions de mise en œuvre du mandat se réalisent, il suffit alors au mandataire d’adresser au greffe du tribunal d’instance le mandat de protection future ainsi qu’un certificat médical et le greffier vise le mandat et date sa prise d’effet.

Le mandat de protection future connait donc deux dates importantes, celles de sa signature et celle de sa mise en œuvre.

La date de mise en œuvre du mandat de protection future est celle du visa par le tribunal, les impératifs de sécurité juridique s’opposant à ce que le mandat de protection future soit d’application rétroactive.

Comment s’organise la protection du majeur lorsqu’il avait souscrit un mandat de protection future ? Comment le majeur protégé peut-il encore souscrire un mandat de protection future ?

I – Mandat de protection future antérieur à l’ouverture d’une mesure de protection

Selon l’article 483 2° du Code Civil :

« Le mandat mis à exécution prend fin par :

2° Le décès de la personne protégée ou son placement en curatelle ou en tutelle, sauf décision contraire du juge qui ouvre la mesure »

1 – Mandat de protection future mis en exécution avant l’ouverture d’une mesure de protection

Le principe : l’ouverture d’une mesure de protection met fin au mandat de protection future

L’article 483 2° du Code Civil énonce très clairement que l’ouverture d’une mesure de protection judiciaire met fin au mandat de protection future. Il ne peut s’agir que de l’ouverture d’une mesure de tutelle ou d’une mesure de curatelle, le texte se limitant aux mesures de protection, ce qui exclut de son champ d’application la sauvegarde de justice.

Dès lors qu’une mesure de tutelle ou de curatelle est prononcée, elle entraine, automatiquement, la fin de la mesure de protection future qui était exécutée : la protection judiciaire a donc vocation à prendre le relais de la mesure conventionnelle.

L’exception : le juge peut décider du maintien du mandat de protection future

Le texte aménage une réserve à cette disposition qui peut sembler stricte et en inadéquation avec la volonté de la personne protégée : le juge dispose du pouvoir, s’il le souhaite, de maintenir le mandat de protection future en cours.

Cette exception n’est pas de droit et c’est bien la fin du mandat de protection future qui est le principe comme l’a rappelé la décision de la première chambre civile de la Cour de Cassation du 12 janvier 2011 (n°09-16519).

Dans cette espèce, où un des fils reprochait au tribunal, puis à la Cour d’Appel d’avoir préféré mettre en place une mesure de curatelle, sans avoir démontré que l’exécution du mandat de protection était de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant, la Cour de Cassation a réaffirmé que le principe était bien la fin du mandat de protection future par la mise en place d’une mesure de protection.

Alors même que le magistrat n’avait pas à relever les motifs le conduisant à mettre fin au mandat de protection future, la Cour de Cassation rappelle que le mandataire n’avait transmis au juge, après plusieurs relances, que quelques éléments insuffisants pour apprécier si son intervention était conforme aux intérêts de la personne protégée, qu’il avait favorisé la vente du logement du mandant et qu’il l’isolait du reste de la famille ce qui était éprouvant pour le majeur.

 

  1. – Mandat de protection future non exécuté au moment de l’ouverture de la mesure

Lorsque le mandat de protection future n’est pas en cours d’exécution lors de l’ouverture de la mesure, la Cour de Cassation a considéré que l’article 483 2° du Code Civil ne devait pas s’appliquer (Civ. 1, 4 janvier 2017, n°15-28669).

En l’espèce, un mandat de protection future avait été signé le 8 septembre 2009, par devant notaire. Le juge des tutelles a ordonné le placement du majeur sous le régime de la curatelle le 1er juillet 2014. Le 3 octobre 2014, la personne désignée dans le cadre du mandat de protection future faisait viser le mandat de protection future par le greffe du tribunal et le 27 octobre 2014, il saisissait le tribunal pour substituer le mandat de protection future à la mesure judiciaire de curatelle.

Le juge des tutelles, approuvé par la Cour d’Appel puis par la Cour de Cassation, refuse de considérer que la mesure de protection judiciaire a entrainé la révocation du mandat de protection future. En effet, l’article 483 2° du Code Civil ne s’applique qu’au mandat « mis à exécution » et non aux mandats signés non exécutés.

Si l’interprétation de la Cour de Cassation est rigoureusement exacte, cette décision instaure une véritable concurrence entre les deux modes, conventionnel ou judiciaire, de protection du majeur. Surtout, en cas de conflit dans l’entourage du majeur à protéger, le mandataire désigné par le mandat de protection future pourrait être tenté de ne pas faire exécuter le mandat dès qu’il est nécessaire et d’attendre la mise en place de la mesure de protection pour anéantir la protection judiciaire…

II – Mandat de protection future postérieur à l’ouverture d’une mesure de protection

L’article 477 du Code Civil énonce

« Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l'objet d'une mesure de tutelle ou d'une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l'une des causes prévues à l'article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts.

La personne en curatelle ne peut conclure un mandat de protection future qu'avec l'assistance de son curateur. »

Il ne faut pas oublier que la loi favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de la personne protégée.

Il ne semble pas étonnant dès lors que la loi organise la possibilité pour le majeur placé sous le régime de la curatelle de désigner, par un mandat de protection future, la personne qui aura vocation à la représenter.

L’assistance du curateur est requise, s’agissant d’un acte grave.

Le texte ne précise pas s’il est nécessaire de présenter un nouveau certificat médical ou si celui utilisé dans le cadre de l’ouverture du régime de protection judiciaire suffit. Dans l’hypothèse où un nouveau certificat ne serait pas nécessaire, la mise à exécution du mandat de protection future prendrait un caractère quasi automatique.

La personne placée sous le régime de la tutelle est représentée par le tuteur dans tous les actes de la vie civile. Il était donc assez logique que le majeur placé sous tutelle ne puisse pas, après la mise en place du régime de protection, signer un mandat de protection future.

*

Il convient de rappeler que la mesure de protection ne peut être ordonnée qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut pas être correctement pourvu aux intérêts de la personne par les règles de représentation entre époux ni par le mandat de protection future.

Il y a une véritable hiérarchie créée par le législateur qui a souhaité, en 2007, donner aux mesures de protection judiciaire un caractère exceptionnel, la tutelle et la curatelle ne devant être ordonnées qu’en cas d’échec de toutes les autres possibilités.

L’implication de la personne dans sa protection est également renforcée par les dispositions de l’article 448 du Code Civil qui permettent à une personne de désigner, pour l’avenir, la personne qui sera tutrice ou curatrice, ce choix s’imposant au magistrat en cas d’ouverture d’une mesure de protection.

 

Marie-Amandine STEVENIN / Cabinet JF FERRAND

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Bataille de Cours d'Appel sur l'exécution d'un mandat de protection future

Bataille de Cours d'Appel sur l'exécution d'un mandat de protection future

par Thierry Rouziès, Avocat au Barreau de Paris (3.12.2013)

Le 7 juin 2013, la Cour d'Appel de Douai a rendu un arrêt fort critiquable et contraire à la position de la Cour d'Appel de Paris quant à l'application du principe de subsidiarité en présence d'un mandat de protection future. Controverse ou véritable défiance des juges de Douai à l'égard du mandat de protection future?

Les faits de l'espèce - Par requête datée du 9 mai 2012, Mme Marie-Pierre P. avait saisi le juge des tutelles d’une demande d’ouverture d’une mesure de protection pour sa tante.

A cette requête était joint un certificat médical circonstancié concluant à l’ouverture d’une mesure de curatelle renforcée.

La requête précisait que la tante de la requérante était veuve et sans enfant et y était joint la première page d’un mandat de protection future notarié daté du 11 juin 2009 désignant comme mandataires Mme Marie-Pierre P. et Mme Irène B., fille de Mme Marie-Pierre P.

La requête indiquait qu’était également désignée comme mandataire une autre nièce de la majeure à protéger, Mme R., et sollicitait la désignation de tous ces mandataires pour exercer la mesure de protection sollicitée.

Le mandat de protection future avait bien été signé mais n’avait pas été activé par le mandataire désigné.

Par jugement en date du 17 décembre 2012, le juge des tutelles a placé la majeure sous tutelle, a désigné Mme Marie-Pierre R. en qualité de tutrice et Mme G. B.-H. et M. F. H. en qualité de subrogés tuteurs.

Mme Marie-Pierre R. et sa tante ont demandé à la Cour d’infirmer le jugement et de dire que le mandat de protection future du 11 mai 2009 produirait pleinement ses effets.

Ce que dit la Cour d'Appel de Douai : 

"La Cour n’a pas le pouvoir de faire produire effet à ce mandat de protection future, s’agissant d’une compétence exclusive du greffier du tribunal d’instance, en application des articles 481 al. 2 du code civil et 1258 et suivants du code de procédure civile. 

Cette prise d’effet n’est possible, en application de l’article 1258-1 du Code de procédure civile, que sur présentation au greffier d’un certificat médical émanant d’un médecin inscrit sur la liste mentionnée à l’article 431 du code civil datant de deux mois au plus.  

Mme M.-T. H. veuve L. et de Mme Marie-Pierre P invoquent par ailleurs la subsidiarité de l’ouverture éventuelle d’une mesure de protection judiciaire par rapport au mandat de protection future, en application de l’article 428 du code civil. 

Cependant, cette subsidiarité ne peut jouer que pour autant que le mandat de protection future a pris effet, et non pas au seul motif que ce mandat a été conclu ; à défaut, il existerait un risque certain que la personne à protéger se retrouve sans aucune protection alors qu’il n’est pas contesté qu’elle en a besoin. Ce principe de subsidiarité ne pourra être utilement invoqué qu’une fois que le mandat de protection future aura pris effet, dans le cadre d’une demande de mainlevée de la mesure de protection judiciaire". 

Ce qu'il faut retenir de cet arrêt : 

1) La Cour d'Appel rappelle les principes de mise en œuvre du mandat : 

Le mandat de protection future est une des grandes innovations de la loi du 5 mars 2007.

Ingénieux, ce contrat doit permettre à chacun d’entre nous, de régler à l’avance, en possession de notre pleine capacité, les conséquences de notre propre vulnérabilité et de notre incapacité future.

Ce contrat, véritable testament de vie, est censé désengorger les tribunaux d’instance et laisser le champ libre à l’autonomie de la personne et à la liberté contractuelle.

Plutôt que de figurer au chapitre du "mandat" dans le Code Civil, le législateur de 2007 a inséré le mandat de protection future dans la rubrique « mesures de protection ».

Ainsi l’article 477 du Code Civil qui institue le mandat de protection future s’appuie expressément sur l’article 425 du Code Civil qui prévoit les causes d’ouverture d’une mesure de protection.

En clair, le mandat de protection future est donc une mesure alternative aux autres mesures de protection que sont la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice.

Sur ce point, la Cour d'Appel de Douai rappelle de façon judicieuse qu'il n'appartient pas au juge de faire produire effet au mandat de protection future.

Les règles de mise en œuvre sont clairement exposées aux articles 1258 et suivants du Code de Procédure Civile qui imposent au mandataire désigné de se présenter au greffe du tribunal d'instance accompagné d'un certificat médical émanant d'un médecin expert inscrit sur la liste du Procureur de la République, constatant l'altération des facultés mentales du mandat.

Dans le cas d'espèce, le mandat avait été simplement conclu mais non encore mis en oeuvre auprès du greffe du tribunal d'instance par la mandataire désignée.

2) les Juges de Douai refusent d'appliquer le principe de subsidiarité en présence d'un mandat de protection future qui n'a pas été activé 

La Cour d'Appel est connue pour ses positions dissidentes et très souvent avant-gardistes.

Pour autant, dans le cas d'espèce, la position des juges de Douai est critiquable en ce qu'elle ajoute une condition non prévue par la loi.

La loi du 5 mars 2007 a consacré trois grands principes applicables aux mesures de protection : nécessité, proportionnalité et subsidiarité.

Par nature, une mesure de protection juridique limite à plus ou moins grande échelle l'autonomie de la personne. La mesure de protection, quand elle est prononcée, doit donc être la plus adaptée possible à l'individu, à sa santé, à son environnement familial et social.

Le principe de subsidiarité est consacré à l'article 428 du Code Civil : "La mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité et lorsqu'il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l'application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l'intéressé.

La mesure est proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressé". 

L'article 440 du Code Civil illustre très bien le mécanisme de la subsidiarité :

"La curatelle n'est prononcée que s'il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.

La personne qui, pour l'une des causes prévues à l'article 425, doit être représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.

La tutelle n'est prononcée que s'il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante".

Le mandat de protection future, lorsqu'il a été conclu, est une mesure de protection qui s'impose au juge des tutelles en vertu du principe de subsidiarité.

Les juges de Douai auraient dû, en présence d'un mandat de protection future, infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure de protection juridique.

C'est la position des juges de la Cour d'Appel de Paris qui dans un arrêt du 14 janvier 2013 (n°12/03648 AJ Fam.2013) ont décidé qu'il n'y avait pas lieu d'organiser une tutelle en raison du principe de subsidiarité et de l'existence d'un mandat de protection future.

La Cour de Paris, dans son arrêt, a simplement renvoyé le mandataire désigné dans le mandat à mettre à exécution le mandat.

La Cour d'Appel de Paris en jugeant ainsi est fidèle à la lettre de l'article 428 du Code Civil qui renvoie à l'existence d'un mandat simplement conclu.

Alors pourquoi la Cour d'Appel de Douai s'oppose à cette jurisprudence?

Il faut y voir sans doute une volonté des juges de Douai de toujours s'assurer de la protection du majeur.

S'ils avaient adopté la position des juges parisiens, ils n'avaient aucune garantie que le mandataire désigné dans le mandat aurait mis en œuvre le mandat. Or, il était prouvé dans le cas d'espèce, qu'une mesure de protection était nécessaire. En activant pas le mandat et sans mesure de protection prononcée judiciairement, la majeure protégée n'aurait donc bénéficié d'aucune protection.

Pour autant, cette omniprésence du juge alors que le mandat de protection future avait notamment pour objectif de désengorger les tribunaux me semble fort critiquable.

Tout d'abord, le mandat de protection de future reflète les souhaits du mandant quant à l'organisation de sa protection et le choix de son protecteur.

Les juges parisiens en renvoyant le mandataire désigné à ses responsabilités c'est à dire en lui demandant de mettre un œuvre le mandat qu'il a accepté s'inscrivent dans cette liberté d'autonomie.

Les juges de Douai imposent quant à eux un parcours du combattant au futur mandataire.

Non seulement, il devra faire prendre effet au mandat pour pouvoir se prévaloir du principe de subsidiarité mais surtout il devra ensuite faire une demande de mainlevée de la mesure de protection qui aura été prononcée.

Ainsi, deux procédures seront nécessaires au lieu d'une pour mettre en œuvre un mandat qui devait rester en dehors du champ de compétence du juge des tutelles quant à son ouverture.

En outre, pourquoi les juges n'ont ils pas imposé un délai pour la mise en œuvre de ce mandat aux termes duquel une mesure de protection s'appliquerait ? Ainsi, si le mandataire ne s'exécutait pas dans le délai imparti par le juge, la mesure de protection prononcée deviendrait automatiquement applicable.

Enfin, n'oublions qu'une mesure de protection est prononcée à l'issue d'un délai d'instruction au cours de laquelle le juge des tutelles procède aux auditions et à la collecte de tous les éléments lui permettant de se déterminer sur la nécessité ou non d'une mesure.

Au cours de cette instruction, le juge ayant eu connaissance de l'existence d'un mandat de protection future, devrait s'assurer, avant de prononcer une mesure de protection, si les termes du mandat conclu avant sa saisine sont suffisamment protecteurs des intérêts du majeur.

Il faut regretter la position des juges de Douai en ce qu'ils ajoutent des obstacles à la mise en œuvre d'un mandat qui devient toujours plus inaudible auprès du grand public.

Comment promouvoir ce formidable outil si les juges eux-mêmes émettent une défiance systématique à son égard.

Souhaitons que la Cour de Cassation intervienne rapidement pour trancher la position opposée de deux Cours d'Appel aux jurisprudences influentes.

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