La responsabilité des conseils des M.J.P.M

La responsabilité des Mandataires Judiciaires à la Protection des Majeurs peut être recherchéesur le fondement des articles 421 et 422 du Code Civil.

Ces deux articles visent des cas différents de responsabilité puisque peuvent être recherchés lesM.J.P.M. mais aussi, l’Etat en cas de dysfonctionnement dû au Juge ou au Greffe.

Cette action peut être diligentée par la personne protégée, ses ayants droits mais aussi, danscertains cas, par des tiers.

L’article 452 du Code Civil prévoit que :

« La curatelle et la tutelle sont des charges personnelles.

Le curateur et le tuteur peuvent toutefois s'adjoindre, sous leur propre responsabilité, leconcours de tiers majeurs ne faisant pas l'objet d'une mesure de protection juridique pourl'accomplissement de certains actes dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. »

En pratique, lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des domaines techniques, notamment en matièrefinancière et/ou juridique, les M.J.P.M. font appel, sous leur responsabilité, à des tiers.

Cette responsabilité, en revanche, ne remplace pas la leur et ne leur permet pas une mise horsde cause systématique.

Dans une décision du 15 février 2018 (non publiée), la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCEvient de rappeler un certain nombre de principes en la matière à travers un cas où le M.J.P.M.,sur des problèmes de placements financiers, s’était adjoint l’aide d’un courtier et d’un Gérant de patrimoine.

Il a fait valider des opérations de rachat d’obligations par le Juge des Tutelles, qui se sontavérées désastreuses sur le plan financier.

Pour mettre en cause le Gérant de patrimoine et le courtier, la Cour a retenu que ceux-ci avaientmanqué à leur devoir « d’information et de conseils, ce manquement engageant (leur)responsabilité, peu importe que le choix final sur la base des conseils et avis reçus relève duJuge des tutelles. »


Page 2 sur 2En revanche, la circonstance que ces arbitrages avainet été faits sur des conseils deprofessionnels en la matière n’a pas empêché que soit retenue concomitamment laresponsabilité du tuteur professionnel.

La Cour précise : « le Tuteur a une obligation de gestion de la globalité de la situation duprotégé, il doit s’assurer que les actes nécessaires aux intérêts du protégé sont bien réalisés.

Dès lors, il lui appartient de vérifier la sécurité des biens du protégé, notamment quant auxproduits financiers peuvent (pouvant) être souscrits en vérifiant le profil du risque.

Ainsi, Madame X bien que profane en matière de placement ne pouvant en sa qualité de Gérantede Tutelle, protectrice des intérêts de la Majeure protégée, informée de sa situation et de sesbesoins, se contenter de recueillir l’avis de la SARL Y et le transmette au Juge des tutelles, sansprocéder à un minimum de vérifications sur la nature des placements proposés, leur faisabilitéet les risques encourus par le majeur sous tutelle, afin d’informer pleinement le Magistrat avantsa prise de décision. »

La Cour a donc estimé qu’il y a une faute de gestion de la M.J.P.M.

Il est malgré tout évident que cette responsabilité a été retenue puisque nous étions en présenced’une tutelle exercée par un professionnel.

Ce cumul de responsabilités confirme une évolution jurisprudentielle en faveur d’une protectionrenforcée du majeur protégé et de son patrimoine.

  • Vues: 7054

La personne protégée pénalement poursuivie

Il existe dans le Droit pénal et la Procédure pénale, des règles spécifiques pour les personnesprotégées poursuivies en qualité d’auteurs d’infractions (contraventions, délits ou crimes).

Il s’agit :

- l’article 122-1 du Code pénal sur la notion de responsabilité pénale altérée ou abolie

- les articles L706-112 à L706-118 du Code de procédure pénale pour la poursuite,l’instruction et le jugement des infractions commises par des majeurs protégés

- les articles D 47-4 à D 47-23 pour la poursuite, l’instruction et le jugement desinfractions commises par des majeurs protégés.Les principales spécificités ont les suivantes


A. L’EXPERTISE JUDICIAIRE

Un majeur protégé (sous tutelle ou curatelle) ne peut être jugé avant « une expertise médicaleafin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits. » (article L706-115 du Codepénal).

L’expertise judiciaire psychiatrique est obligatoire.

Elle peut avoir lieu au stade de la garde à vue ou ordonnée (cas le plus fréquent) par le Jugeavant la décision au fond.

L’article D 47-21 du Code de procédure pénale précise que cette expertise a pour objet dedétermine si l’intéressé était atteint ou non, au moment des faits, d’un trouble psychique ouneuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement, ou abolie ou entravée le contrôle deses actes.

Cette expertise est fondamentale puisque l’article L 122-1 du Code pénal précise :

« N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'untrouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de sesactes.

La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un troublepsychique ou neuropsychiqueayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable.

Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et enfixe le régime. »

Cette expertise qui est obligatoire permet de savoir s’il y a irresponsabilité pénale totale(extrêmement rare) ou partielle (c’est en général le cas en matière de majeur protégé).

Cette expertise est facultative en cas de procédure de médiation de composition pénale ou encas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (article D47-22 du Code deprocédure pénale).


B. LA PRESENCE DU TUTEUR OU CURATEUR

L’article L 706-113 du Code de procédure pénale précise : « le Procureur de la Républiqueou le Juge d’instruction avise le Curateur ou le Tuteur ainsi que le Juge des tutelles despoursuites dont la personne fait l’objet. »

Le Tuteur ou le Curateur doit être informé de toute audience où la personne va être jugée.

Le Tuteur ou le Curateur a un accès au dossier.

Si la personne est placée en détention provisoire et bénéficie de plein droit d’un permis devisite, il est informé de toutes les phases fondamentales de la procédure.

Lors d’une audience, « il est entendu par la juridiction en qualité de témoin »

Le statut du M.J.P.M., dans le cadre de la procédure, est très important.

Il est associé à celle-ci.

Le texte prévoit le cas du M.J.P.M. lui-même poursuivi ou susceptible de l’être.

Dans cette hypothèse, il est désigné un Tuteur ou Curateur ad’hoc.

En cas de sauvegarde de justice, le Procureur de la République ou le Juge peut demander ladésignation d’un mandataire spécial.

Le statut du M.J.P.M. est aussi compliqué puisqu’il est entendu comme témoin.

Il se pose la question du secret professionnel.

En effet, le témoin doit dire la vérité. (serment prété).

De plus, le M.J.P.M. doit rendre des comptes du fait de ses fonctions au Procureur de laRépublique et au Juge des tutelles.

Pour autant, il peut être considéré comme étant tenu au secret professionnel (loi du 26 janvier2016).

 

C. L’AVOCAT

En matière de majeur protégé, l’Avocat est obligatoire à tous les stades.

Il conviendra de préciser que c’est la même chose pour les mineurs où l’Avocat est toujoursobligatoire.

L’article L706-116 du Code de procédure pénale prévoit :

« la personne poursuivie doit être assistée par un Avocat.

A défaut de choix d’un Avocat par la personne poursuivie, ou son Curateur, ou son Tuteur, leProcureur de la République ou le Juge d’instruction fait désigner par le Bâtonnier un Avocat,l’intéressé étant informé que les frais seront à sa charge sauf s’il remplit les conditionsd’accès à l’aide juridictionnelle. »

Le majeur protégé (tout comme les mineurs) bénéficie d’une protection spécifique qui estl’Avocat obligatoire à tous les stades.

Le majeur protégé n’étant pas toujours en situation de pouvoir contacter un Avocat, le Tuteurou le Curateur joue là un rôle important et peut le choisir pour lui.

A défaut, il y a toujours des systèmes d’avocats de permanence (qui ne sont pasobligatoirement gratuits puisque l’aide juridictionnelle n’est octroyée qu’en fonction de lasituation de revenus et de patrimoine de la personne protégée et non en fonction de la naturedes faits concernés).

L’Avocat obligatoire est uniquement prévu pour la personne poursuivie.

Pour la victime, celle-ci n’a aucune obligation de se constituer partie civile.

Si elle le fait, il faut qu’elle choisisse un Avocat qui ne sera jamais désigné d’office.

En revanche, elle peut bénéficier de l’aide juridictionnelle ou pas selon qu’elle est ou nondéposée un dossier en ce sens.

Il convient de préciser que s’il y a des textes particuliers concernant le majeur protégépersonne poursuivie, il n’y en a pas pour le majeur protégé victime.

Cela peut jouer sur la nature de l’infraction (atteinte sur une personne particulièrementvulnérable, abus de faiblesse, etc.).Cela peut jouer sur la sanction puisque l’atteinte sur une personne particulièrement vulnérablepeut entrainer des poursuites et une peine plus lourde.

En revanche, il n’y a pas de règles spécifiques pour l’indemnisation.

On retrouve les mêmes règles que pour toutes les autres victimes avec les mêmes conditionsde prise en charge par le fonds de garantie ou le SARVI.

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Les règles générales de mise en cause de la responsabilite civile des organes de la mesure de protection judiciaire

LES RÈGLES GÉNÉRALES DE MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES ORGANES DE LA MESURE DE PROTECTION JUDICIAIRE

La loi du 5 mars 2007 (n°2007/308) a restructuré les règles de la responsabilité civile de l’ensemble des organes de la mesure de protection judiciaire (les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, les tuteurs familiaux, mais aussi le Juge des tutelles et les Greffiers concernés).

Nous sommes en l’état de deux articles (421 et 422 du Code civil) qui ne sont que des applications spécifiques des règles générales de la responsabilité civile prévue par les articles 1382 et suivants dudit Code.

L’article 421 du Code civil prévoit :

« Tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d’une faute quelconque qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, sauf cas de curatelle renforcée, le curateur et le subrogé curateur n’engagent leur responsabilité, du fait des actes accomplis avec leur assistance, qu’en cas de dol ou de faute lourde ».

L’article 421 ne prévoit pas une distinction qui existe en matière de mandat (article 1992 du Code civil qui distingue le mandat bénévole du mandat rémunéré) mais fait une distinction totalement différente en fonction de la catégorie de mesure.

En ce qui concerne la tutelle et la curatelle renforcées, toute faute causant un préjudice peut entraîner une action en responsabilité alors qu’elle n’est possible pour la curatelle simple que pour les fautes lourdes ou le dol.

Le dol est la manœuvre frauduleuse.

Cette notion se retrouve dans de nombreuses règles juridiques notamment en matière contractuelle où le dol rend nulle la formation d’un contrat « lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ».

Le dol est bien un acte frauduleux mais aussi un acte intentionnel.

La faute lourde, qui n’a pas de définition légale mais de nombreuses définitions jurisprudentielles, est caractérisée par la négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission (arrêt de la Chambre mixte de la Cour de Cassation du 22 avril 2005).

L’article 422 prévoit une responsabilité de principe de l’Etat (responsabilité qui, à titre exceptionnel, sera tranchée par les juridictions judiciaires et non les juridictions administratives).

L’article 422 du Code civil prévoit :

« Lorsque la faute à l’origine du dommage a été commise dans l’organisation et dans le fonctionnement de la mesure de protection par le Juge des tutelles, le Greffier en Chef du Tribunal d'Instance ou le Greffier, l’action en responsabilité diligentée par la personne protégée ou ayant été protégée ou par ses héritiers est dirigée contre l’Etat qui dispose d’une action récursoire ».

L’alinéa 2 de l’article 422 précise :

« Lorsque la faute à l’origine du dommage a été commise par le mandataire judiciaire à la protection des majeurs, l’action en responsabilité peut être dirigée contre celui-ci ou contre l’Etat qui dispose d’une action récursoire ».

Il y a donc une responsabilité de l’Etat en cas de disfonctionnement ou de mauvaise décision du Juge des tutelles (qui aurait statué d’une façon fautive par exemple en autorisant ou en n’autorisant pas un acte), de son Greffier (problème de notification ou de recours) ou du Greffier en Chef (qui est en charge du contrôle des comptes de la mesure de protection).

Une action conjointe où l’Etat dispose d’une action récursoire est prévue dans le cas d’une faute des Mandataires Judicaires à la Protection des Majeurs, c'est-à-dire dans le cas de professionnels.

On relèvera que si l’article 421 du Code civil concerne tous les organes de la mesure de protection (y compris les tuteurs ou curateurs non professionnels), l’article 422 ne concerne que des professionnels (dépendant du monde judiciaire ou ayant un statut proche de celui d’un auxiliaire de justice, c'est-à-dire les MJPM).

En outre, l’action contre l’Etat de l’article 422 n’est possible que par la personne protégée (soit qu’elle ait retrouvé sa capacité d’action seule, soit avec l’assistance ou la représentation d’un nouvel organe de la mesure de protection) ou ses héritiers.

Les tiers ne peuvent pas agir dans le cadre de cette responsabilité.

En revanche, dans le cadre de la responsabilité générale de l’article 421, les tiers lésés (cocontractants habituels par exemple bailleurs, salariés, etc.) peuvent agir.

Nous sommes, tant dans le cadre de l’article 421 que de l’article 422 du Code civil, en présence d’une responsabilité civile quasi-délictuelle (dont les règles générales sont posées par les articles 1382 et suivants du Code civil).

Le point est important : il ne peut pas y avoir de limitation à l’indemnisation comme en matière de responsabilité contractuelle où des clauses spécifiques peuvent jouer.

Le délai d’action est de cinq ans à partir de la fin de la mission (article 423 du Code civil).

Enfin, l’article 424 du Code civil prévoit que pour les mandats de protection future et l’habilitation familiale, ce sont les règles du mandat (c'est-à-dire une responsabilité contractuelle) qui jouent.

Les règles sont donc différentes puisque l’on renvoie aux textes du mandat qui notamment distinguent entre le mandat bénévole et le mandat rémunéré.

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La procédure d’appel contre les décisions du juge des tutelles

LA PROCEDURE D’APPEL CONTRE LES DECISIONS DU JUGE DES TUTELLES

Article rédigé par Me Thierry Rouziès – Avocat au Barreau de Paris spécialiste du droit des Majeurs Protégés – le 1er juin 2016

INTRODUCTION

L'exercice d'une voie de recours est toujours un exercice difficile pour un néophyte, notamment lorsque l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire.

L'appel des décisions du juge des tutelles, rende l'exercice de cette voie de recours encore plus complexe puisqu'elle obéit à des règles dérogatoires à celles applicables à la procédure d'appel classique.

Qui peut faire appel? dans quel délai? l'appel est-il possible pour toutes les décisions du juge des tutelles? comment se défendre? comment assister ou représenter le majeur protégé? autant de questions pratiques nécessitant une réponse claire.

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Le juge des tutelles peut statuer par voie d'ordonnance ou de jugement.

D'une manière générale, les mesures de curatelle ou tutelle font l'objet d'un jugement. Ces décisions sont en effet prises à l'issue d'une instruction menée par le juge des tutelles (audition, témoignages, certificats médicaux...).

La sauvegarde de justice provisoire pour la durée de l'instance, est prononcée par voie d'ordonnance et n'est pas susceptible d'appel car elle ne modifie pas les droits du majeur protégé. L'appel éventuel ne peut porter que sur la désignation d'un mandataire spécial si la sauvegarde l'a prévu, dans la mesure où l'intervention d'un mandataire a pour conséquence de modifier les droits du majeur (gestion du budget et contrôle des comptes bancaires principalement en lieu et place du majeur sous sauvegarde).

Les autres sujets concernant l'exercice de la mesure de protection, telle que le changement de tuteur/curateur, le changement de résidence, l'autorisation de vendre un bien, font l'objet d'ordonnances.

Les ordonnances et les jugements du juge des tutelles (sauf rare exception comme pour l'ordonnance de sauvegarde) sont susceptibles d'un appel.

Devant quelle juridiction? 

La loi de réforme des mesures de protection du 5 mars 2007 a modifié la juridiction d'appel.

Avant l'entrée en vigueur de cette réforme, les appels étaient formés devant le Tribunal de Grande Instance.

Depuis la réforme, c'est en toute logique la Cour d'Appel qui statue sur les appels des décisions du juge des tutelles.

A qui adresser sa déclaration d'appel? 

Bien que la Cour d'Appel soit la juridiction en charge de statuer sur ces appels, la déclaration d'appel doit OBLIGATOIREMENT être adressée au greffe du tribunal d'instance dont dépend le juge des tutelles ayant rendu la décision contestée.

C'est le greffe du tribunal d'instance qui transmettra ensuite la copie du dossier du majeur protégé concerné au greffe de la Cour d'Appel.

La déclaration d'appel prend la forme d'une déclaration en se déplaçant directement au greffe du tribunal ou d'un envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception au greffe du service des tutelles du Tribunal d'Instance concerné.

Ce courrier doit indiquer :

- le nom du majeur protégé

- le numéro "RG" figurant en première page de la décision  attaquée

- la portée de l'appel : appel total sur l'intégralité de la décision, appel uniquement sur un point du jugement ou de l'ordonnance.

Par exemple, lorsqu'un appel est formé contre une décision de tutelle, il est possible de ne faire appel que du placement sous tutelle ou que de la désignation du tuteur.

Je conseille de toujours faire appel globalement de la décision ("appel total"). Il sera toujours possible à l'audience devant la Cour d'Appel de se désister de tout ou partie de son appel, sans être sanctionné.

Quel délai pour faire appel? 

Le délai pour faire appel des décisions du juge des tutelles est très court : 15 jours à compter, soit de la notification de la décision, soit de la date de son prononcé. Ce point départ varie en fonction de la qualité des appelants. (cf. ci-dessous "Qui peut faire appel")

Ce délai est d'autant plus court qu'il laisse peu de temps pour apprécier l'intérêt ou non de faire appel, d'autant que les pièces du dossier de tutelle sont confidentielles.

Dans le doute, il est préférable d’interjeter appel, quitte à se désister ensuite si les éléments du dossier sont suffisamment clairs pour justifier un désistement.

Qui peut faire appel et dans quel délai?

Bien sûr, le majeur protégé peut toujours faire appel des décisions puisqu'il est au centre de chacune d’elles.

Les personnes qui reçoivent notification des décisions, disposent de 15 jours à compter de cette notification pour faire appel.

Les personnes qui ne reçoivent pas la décision parce que le juge a estimé qu'elle ne les impactait pas, disposent également d'un délai de 15 jours pour faire appel, mais à compter cette fois de la date de la décision, en vertu de l'article 1241-1 du Code de Procédure Civile.

Ce point de départ pose un véritable problème puisque les personnes non notifiées ignorent par principe la date de la décision...

La question se pose régulièrement lorsque des membres d'une famille ne sont pas notifiés d'une décision qui pourtant entrainent d'importantes modifications non seulement pour le majeur protégé mais également pour eux mêmes.

A titre d'exemple, une ordonnance prononçant le changement de résidence d'un majeur protégé devrait être notifiée à l'ensemble de la famille proche pour leur permettre éventuellement de contester cette décision dans l'intérêt de leur parent majeur protégé. Or, ça n'est pas toujours le cas, le juge des tutelles se contentant de notifier le majeur protégé et son curateur/tuteur.

Dans un cas récent que j’ai eu à connaître, une ordonnance de changement de résidence a été rendue le 5 avril 2016. Le majeur déménageait à 500 km de sa famille. L'ordonnance a été notifiée le 15 avril 2016 au majeur protégé et à sa tutrice. La tutrice entretenant de bonnes relations avec la famille du majeur, l'a informée de cette ordonnance. La famille ne disposait donc plus que de 5 jours pour faire appel, puisque le point de départ du délai d'appel les concernant avait débuté le 5 avril.

Si la tutrice ne les avait pas informés, ce qui était tout à fait son droit, ils n'auraient pu faire appel de la décision.

Ce point de départ du délai d'appel pour les personnes non notifiées d'une décision du juge des tutelles soulève une vraie interrogation sur l'exercice réel de la voie d'appel qui peut être clairement empêché.

Soit, les décisions du juge des tutelles devraient être systématiquement notifiées aux personnes énumérées à l'article 430 du Code Civil (les membres de la famille du majeur, les proches...), soit le délai d'appel pour toute personne non notifiée devrait commencer à courir à compter de la date où ils ont eu connaissance de l'ordonnance, à charge pour ces personnes d'apporter la preuve de cette connaissance.

Dans mon exemple précédent, la tutrice avait informé par email la famille de la décision qui venait de lui être notifiée. Ainsi, la date de cet email, devrait être le point de départ du délai de 15 jours, ce qui permettrait un exercice réel d'un appel par toute personne ayant un intérêt légitime à interjeter appel.

Les effets de l'appel?

L'appel d'une décision est en général suspensif. C'est à dire que tant que la Cour d'Appel ne s'est pas prononcée, la décision du juge des tutelles est suspendue.

En matière de tutelles, cet effet suspensif pose de nombreux problèmes pratiques.

En effet, l'audience devant la Cour d'Appel se tient en moyenne 1 an après la déclaration d'appel.

Une décision de placement sous tutelle qui serait suspendue impliquerait qu'une personne qui a pourtant besoin d'être protégée, ne le sera pas pendant 1 an, avec ce que cela implique par exemple sur la gestion de son patrimoine.

Pour parer à cette contrainte pratique liée à la voie de recours, les juges des tutelles assortissent quasi systématiquement leurs décisions d'une exécution provisoire.

Ainsi, en cas d'appel, la décision du juge des tutelles demeure applicable.

Il est aisé de comprendre l'enjeu sur le plan pratique que certaines décisions soient exécutoires immédiatement, nonobstant appel.

Toutefois si la Cour invalide une décision du juge des tutelles qui a été exécutée, il appartiendra au juge et au tuteur/curateur de remettre en place la situation telle qu'elle était avant la décision du juge des tutelles.

A titre d'exemple, si un changement de résidence est ordonné et exécuté alors que la Cour d'Appel invalide cette décision, il faudra de nouveau déplacer le majeur protégé pour le réintégrer dans sa précédente résidence.

En pratique, selon les décisions attaquées, et en cas d'appel, les tuteurs/curateurs prêtent une grande attention à ne pas modifier trop profondément la situation. En effet, si un appel est formé sur un changement de résidence, il sera préférable, et dans la mesure du possible, d'attendre la décision d'appel avant d'entreprendre un changement aussi important pour le majeur protégé.

Quel accès aux pièces du dossier?

En principe, le dossier du majeur protégé est confidentiel.

Toutefois, pour permettre un débat constructif et le respect du principe du contradictoire, les appelants et leurs avocats sont habilités à consulter le dossier auprès de la Cour d'Appel. Il s'agit simplement d'une consultation. Seule une prise de note est possible. Aucune copie, photographie à l'aide du téléphone portable ou scan n'est autorisée.

La seule copie autorisée est remise sur sa demande à l'avocat du majeur protégé (article 1223 du Code de Procédure Civile). Mais il ne peut communiquer ces pièces ni à son client ni à des tiers.

Comment se déroule l'audience devant la Cour d'Appel?

Les parties sont convoquées par le greffe de la Cour d'Appel par voie de courrier recommandé avec AR.

Sont convoqués :

- l'appelant (ou les appelants)

- le majeur protégé

- le curateur/tuteur

Le curateur ou tuteur professionnel doit systématiquement adresser un rapport de situation à date du majeur protégé. Les Cours de Paris et Versailles y sont très attachées.

Ce rapport est important pour éclairer la Cour au moment où elle statue, et les parties présentes, sur la situation du majeur protégé 1 an au moins après que la décision contestée ait été rendue.

La procédure est dite "orale". C'est à dire que les parties émettent leurs observations au cours de l’audience.

Toutefois, il est préférable d'adresser des "conclusions" ou "observations" avant l'audience afin que la Cour ait une vision claire des demandes et des enjeux.

De plus, il est toujours difficile de tout exprimer oralement. L'avantage de rédiger une note avant l'audience qui peut d'ailleurs être remise à l’issue de l'audience, est qu'elle sera conservée dans le dossier et aidera les juges d'appel, au moment de rédiger leur arrêt, à se souvenir des demandes et observations formulées en cours d'audience.

Faut-il être assisté d'un avocat?

L'avocat n'est pas obligatoire devant la Cour d'Appel.

En pratique et compte tenu de la complexité des enjeux et de la procédure, il est recommandé de se faire assister d'un conseil.

Souvent, les erreurs sont commises au tout début du processus d'appel. Beaucoup de personnes se trompent en adressant leur déclaration d'appel directement à la Cour d'Appel et non au tribunal d'instance. Leur appel est alors déclaré irrecevable.

L'avocat rédige en général des conclusions et remet à la Cour des pièces justificatives des arguments développés. Le dossier ainsi bâti est solide, construit et donne davantage de poids pour obtenir gain de cause.

Il convient également de faire appel à un avocat spécialisé dans ce domaine tout simplement parce que cette matière est peu connue et pratiquée par les juristes.

Le majeur protégé doit il être assisté ou représenté par un avocat?

Le majeur protégé est systématiquement convoqué devant la Cour d'Appel, quand bien même il n'est pas à l'origine de l'appel.

Son protecteur (curateur ou tuteur) est également convoqué pour informer la Cour sur l'exercice de la mesure.

En revanche, le curateur ou le tuteur n'assiste ni ne représente le majeur protégé dans cette procédure.

Contrairement aux autres actions en justice, le majeur se défend seul ou est représenté par un avocat dans le cadre d'une procédure d'appel d'une décision du juge des tutelles.

En effet, l'appel peut être formé par le majeur lui-même contre la mesure et/ou le choix du curateur.

Le curateur ou tuteur serait donc en conflit d'intérêts s'il devait assister ou représenter le majeur dans ce cas précis.

En revanche, on constate en pratique que le majeur protégé a généralement beaucoup de mal à se défendre seul.

La présence d'un avocat spécialisé est fortement conseillé dans la mesure où il paraît peu concevable qu'une personne vulnérable soit en capacité mentale ou physique d'argumenter seule et pour son propre compte, dans un domaine juridique aussi complexe, d'autant que la procédure est orale.

Souvent le majeur sera même absent de l'audience car incapable physiquement de s'y rendre, d'où l'intérêt d'être assisté d'un avocat.

Dans la mesure où il n’est ni représenté par son tuteur, ni assisté de son curateur dans le cadre de cette procédure spécifique, les Cours de Paris et Versailles par exemple, veillent systématiquement à ce que le majeur protégé soit assisté ou représenté d'un avocat.

Lorsque le majeur protégé n'est pas assisté ou représenté d'un avocat le jour de l'audience devant la Cour, le président de la Cour invite le curateur ou tuteur à solliciter un avocat pour assurer la défense du majeur protégé. L'audience est en conséquence reportée à une date ultérieure le temps qu'un avocat puisse intervenir.

L'avocat peut bien entendu intervenir au titre de l'aide juridictionnelle si les revenus du majeur protégé sont insuffisants.

Quelle décision de la Cour d'Appel?

A l'issue de l'audience, la Cour indique une date à laquelle elle rendra sa décision.

La Cour dispose d'un très large pouvoir d'appréciation puisqu'en vertu de l'article 1246 du Code de Procédure Civile, elle peut même d'office, substituer une décision nouvelle à celle du juge des tutelles.

Elle peut confirmer ou infirmer, totalement ou partiellement la décision du premier juge.

Elle peut même l'annuler, voire ordonner des mesures d'expertise, comme une nouvelle expertise médicale confié à un médecin inscrit sur la liste du Procureur de la République.

Elle peut enfin constater le désistement partiel ou total d'appel ou la conciliation des parties.

Sa décision est notifiée aux parties intervenues à l'instance et le dossier repart au greffe du Tribunal d'Instance dont dépend le majeur protégé.

Quel recours contre les décisions d'appel?

Le seul recours dont disposent les parties est un pourvoi en cassation qui n'est pas une juridiction d'appel.

La Cour de cassation ne rejuge pas l'affaire. Elle se prononce uniquement sur les éventuelles irrégularités de droit et le non respect de la loi.

Thierry Rouziès

Avocat au Barreau de Paris

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Les actes mixtes

LES ACTES MIXTES

(ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DE LYON DU 23 JANVIER 2014)

En matière de mesure de protection, il y a les actes strictement personnels prévus par l’article 458 du Code civil (qui ne peuvent être faits que par la personne protégée si elle est capable d’exprimer son consentement et qui ne peuvent donner lieu ni à une assistance, ni à une représentation ni à une autorisation du Juge), les actes strictement patrimoniaux (où le décret du 22 décembre 2008 a permis de mettre en place des distinctions relativement claires entre les actes d’administration et les actes de disposition) mais aussi des actes mixtes qui ont à la fois un caractère personnel et patrimonial.

Ces actes mixtes posent difficulté puisque se heurtent deux notions :

  1. L’intérêt et la sécurité du protégé.
  2. Son autonomie et la nécessité de protéger son intimité et sa vie privée.

La chartre des droits et libertés des personnes majeures protégées prévue par l’annexe 4-3 du décret du 31 décembre 2008 rappelle qu’il convient de rechercher le consentement de la personne protégée (article 9).

Elle rappelle aussi un droit renforcé de la protection du logement et des objets personnels.

Un arrêt du 23 janvier 2014 de la Cour d’Appel de Lyon (n°12/05644) éclaire d’une façon particulièrement intéressante cette problématique.

En l’espèce, suite à des dégâts des eaux subis par les voisins d’en-dessous du logement de la personne protégée qui était locataire, une Expertise judiciaire a eu lieu.

La personne protégée n’a laissé que très difficilement accéder l’Expert judiciaire aux lieux (il a dû obtenir une autorisation judiciaire et le faire avec la force publique).

L’Expert judiciaire a constaté un très mauvais état d’entretien général de l’appartement (immondices, cuvette de W.C. obstruée, écoulements multiples de rouille provenant d’un cumulus fuyard, etc.).

La compagnie d’assurance qui a indemnisé la victime du dégât des eaux s’est retournée contre l’association tutélaire estimant qu’elle n’avait pas fait le nécessaire pour que des travaux interviennent dans l’appartement afin d’éviter le sinistre.

La Cour d’Appel de Lyon, dans cette décision, a estimé que :

« L’intervention du tuteur dans la vie du majeur protégé ne peut être totale et intrusive et l’article 459 du Code civil pose le principe que les mesures qu’il prend ne peuvent porter atteinte à l’intimité de la vie privée, sauf urgence ou mesures de protection strictement nécessaires pour mettre fin au danger que son propre comportement ferait courir à l’intéressé ».

En l’espèce, la Cour a estimé que l’intéressé qui refusait de laisser accéder à son appartement n’était pas en danger.

Son état de santé était stable.

La Cour s’est appuyée notamment sur le fait que quelque temps plus tard, lorsque la personne protégée a été expulsée pour non-paiement de loyer, elle n’a pas fait l’objet d’une hospitalisation en hôpital psychiatrique et qu’il n’y a eu aucune alerte particulière du Préfet ou du Commissaire de police sur la prise en charge de cette personne.

Le tiers ne pouvait se prévaloir de l’article 459 du Code civil qui ne sert qu’à protéger, en cas d’urgence, la personne protégée et elle-seule.

Cet arrêt démontre donc la subtilité, notamment en ce qui concerne le logement, de la protection et de la limite d’action de l’organe de protection.

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