Le confinement en EHPAD : mesure indispensable, effet désastreux.

Maître ISERN REAL(avocate au barreau de Paris) adresse une lettre au ministre de la Santé le 24 mars 2020 pour l'alerter sur les effets graves et désastreux du confinement et l'abandon qui en a résulté pour les grands dépendants en Ehpad.

Cela se fait en parallèle au CCNE (le Comité Consultatif National d'Ethique des Sciences de la vie et la Santé), qui a apporté une réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD  le 26 mars 2020.

Retrouvez ci-dessous sa lettre, ainsi qu'une version PDF en fin d'article.

 

Marie-Hélène ISERN-REAL
Avocat au Barreau
Ancien Membre du CNB
Spécialiste en droit de la famille, des personnes et du patrimoine
 

En collaboration avec : 

Sophie DESHORS-MOREL
Avocat à la Cour

Paris le 24 mars 2020


Monsieur Olivier VERAN
Ministre de la santé et la solidarité
14 avenue Duquesne 75350 PARIS 07 SP 

 

Le confinement en EHPAD : mesure indispensable, effet désastreux. 

Monsieur le Ministre, 

Avocat en droit des personnes et de la famille, je suis particulièrement en charge au Barreau de Paris de l’animation de la sous-commission Les protections des personnes vulnérables. 

À ce titre, j’ai été alertée sur les graves effets du confinement dans les EHPAD. C’est pourquoi, je me permets d’attirer votre attention sur ce sujet ayant confiance que vous aurez à cœur de prendre rapidement des mesures d’accompagnement qui permettront aux plus vulnérables d’entre nous de continuer à bénéficier de la présence de leur proche-aidant, sans discrimination lorsqu’ils se trouvent en EHPAD. 

Le Plan Bleu, en vigueur notamment dans les EHPAD, est remplacé par la loi d’urgence sanitaire. Il restera en vigueur dans les établissements sociaux et médicosociaux. Il est destiné à protéger les résidents, les personnes âgées en particulier, des effets de la contagion par le Covid19. Il est en vigueur depuis 15 jours et a eu pour effet de faire interdire toutes les visites à tous les résidents. 

Et pourtant on annonce des contaminations par le personnel. L’interdiction de toutes les visites des proches n’a donc pas eu l’efficacité espérée. 

Cette interdiction était-elle nécessaire ? Peut-on faire autrement ? 

Selon la loi d’urgence sanitaire : 

Il prévoit des mesures relatives à la continuité de l’accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap, des personnes fragiles et des mineurs et majeurs de l’ASE :
- Adaptation des conditions d’organisation et de fonctionnement des établissements et services sociaux et médico- sociaux pour accueillir et de dispenser des prestations ou de prendre en charge des publics en dehors de leur acte d’autorisation ; 
- Adaptation des conditions d’ouverture ou de prolongation des droits ou de prestations aux personnes en situation de handicap, en situation de pauvreté (bénéficiaires de minima et prestations sociales) et aux personnes âgées. 

Il s’agit des droits financiers. Qu’en est-il des droits fondamentaux et notamment au droit aux relations familiales lorsqu’elles sont la garantie de la sécurité sanitaire ? 

Au ministre de la santé : 
- Il peut prescrire par arrêté motivé toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire et toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre 
- Encadrement : les mesures doivent être strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. 

Existe-t-il des raisons juridiques justifiant une exception au confinement, dans le respect des droits fondamentaux des personnes hébergées à bénéficier de la garantie de leur sécurité sanitaire tout en assurant l’indispensable maintien des liens familiaux ? 

Les directeurs des EHPAD exercent leur pouvoir de direction dans le respect de la loi : mise en place d’un plan de continuation de l’activité en collaboration avec les représentants de tous les professionnels de l’établissement, mais aussi avec les représentants des proches-aidants et les représentants des résidents. 

Les difficultés n’existent pas lorsque la situation est gérée par des professionnels compétents. On apprend notamment que, devant le désespoir de certains résidents, des exceptions ont été accordées et un conjoint autorisé à intervenir lorsque le confinement est la cause de la dégradation de l’état de santé du résident. Il a été annoncé aussi officiellement la possibilité de dérogation pour les personnes atteintes de handicap physique ou psychique. 

Plus précisément et à juste titre, les proches sont inquiets pour ceux des résidents qui n’ont aucune possibilité ni de mobilité ni d’expression. La visioconférence ne remplacera jamais la main que l'on tient, la caresse sur la joue, les regards qui s'accrochent. 

Un médecin coordonnateur d’EHPAD expliquait sur France Inter que le soin doit être global et que le bien-être psycho-affectif de la personne est l’assurance du maintien de son bon état de santé général. 

Personne ne parle dans les média pour ceux qui ne peuvent s'exprimer, sauf leurs proches qui veillaient au quotidien avant le confinement général à ce qu'ils soient nourris lentement, hydratés, soignés, signalaient l'aggravation des symptômes, assuraient l'hygiène quotidienne et surtout apportaient la présence réconfortante qui maintien le goût de vivre. 

Pour l’avenir, je me permets quelques suggestions en référence au droit existant qui n’a pas été suspendu. 

Créant un article L113-1 du code de l’action sociale et des familles, la loi du 28 décembre 2015 d’adaptation de la société au vieillissement a donné toute leur place au "proche-aidant", celui « qui vient, en aide de manière régulière et fréquente » et aux bénévoles pour compenser le manque de moyen en aides-soignants, médecins coordonnateurs, infirmiers, kinés, et autres professionnels de santé ou de soin qui manquent cruellement tout comme le manque de masques protecteurs qui va faire des ravages. 

Les mesures de confinement permettent la circulation du proche-aidant « qui assure une présence ou une aide indispensables au soutien à domicile d’un bénéficiaire de l’APA » (Article L 232-3-2 du CASF et déclaration sur l’honneur prévue par l’article 1 du décret du 16 mars 2020) 

Cette présence est tout autant définie par le plan d’aide mais aussi par l’annexe au contrat de séjour dans les établissements. Selon les termes de l’article L 31164-1 du CASF : « Le contrat de séjour peut comporter une annexe, qui définit les mesures particulières à prendre pour assurer l’intégrité physique de la personne, et pour soutenir l’exercice de sa liberté d’aller et venir. » 

Si elle n’a pas la liberté d’aller et venir, elle conserve le droit d’être visitée. 

« Ces mesures ne sont prévues que dans l’intérêt des personnes accueillies, si elles s’avèrent strictement nécessaires et ne doivent pas être disproportionnées par rapport aux risques encourus. Elles sont définies après examen du résident et au terme d’une procédure collégiale mise en œuvre à l’initiative du médecin coordonnateur de l’établissement, ou du médecin traitant. Cette procédure associe l’ensemble des représentants de l’équipe médico-sociale afin de réaliser une évaluation disciplinaire des bénéfices et risques de la mesure envisagée. Le contenu de l’annexe peut être révisé à tout moment, selon la même procédure, à l’initiative du résident, du directeur de l’établissement ou du médecin coordinateur ou sur la proposition de la personne de confiance désignée en application de l’article L 311-5-1 du CSP.» 

L’interdiction de la présence du proche-aidant en établissement, crée une discrimination insupportable par rapport à la personne âgée qui se trouve à son domicile puisque celle-ci a droit au passage de son proche-aidant en plus des aides à domicile. 

La loi n’a pas suspendu la procédure collégiale d’adaptation de l’annexe au contrat de séjour. La personne de confiance qui est, de fait, le proche-aidant, a son mot à dire sur le projet de vie, sans qu’il soit besoin de faire appel à la loi Léonetti sur la fin de vie telle qu’elle a prévu les articles R 4127-36 et R 4127-37 et suivants du code de la santé publique. 

Notamment, l’ARTICLE R.4127-38 du CSP Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. 

Le code de déontologie médicale contenu dans le code de la santé publique prévoit aussi l’intervention des proches. 

ARTICLE R.4127-48 du CSP Le médecin ne peut pas abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi. 

L’ordre formel d’abandonner les malades n’a heureusement pas été donné par l’autorité qualifiée et le dévouement admirable des personnels soignants doit être remarqué. 

Mais les EHPAD manquent cruellement de médecins et de personnel en temps normal. 

ARTICLE R.4127-49 du CSP Le médecin appelé à donner ses soins dans une famille ou une collectivité doit tout mettre en œuvre pour obtenir le respect des règles d’hygiène et de prophylaxie. Il doit informer le patient de ses responsabilités et devoirs vis-à-vis de lui-même et des tiers ainsi que des précautions qu’il doit prendre. 

Le médecin doit veiller à tout mettre en œuvre pour obtenir le respect des règles d’hygiène et de prophylaxie, ce qui n’implique pas l’abandon des malades ou des personnes dépendantes à leur sort, loin des liens affectifs indispensables à leur survie. 

Il n’y a donc aucun obstacle juridique, au contraire, à ce que des aménagements permettent aux directeurs des établissements sociaux et médico-sociaux, de compléter les offres de prise en charge par le proche-aidant qui exerçait une mission auprès de son parent. 

Ne peut-on imaginer quelques règles simples et évidentes afin de permettre à ces populations de résidents totalement dépendants de ne pas être abandonnées de tout soin et permettre aussi la prise en compte de l'impérieuse nécessité de maintenir la présence affective qu’ils reçoivent de leur aidant le plus proche. 

Il n’est pas question bien entendu d’organiser un défilé de visiteurs. Il s’agirait seulement d’organiser les visites du proche-aidant ou de la personne de confiance qui, déjà avant le confinement, avait reçu délégation de l’établissement de dispenser les soins courants, comme l’alimentation et les soins d’hygiène ordinaires, prévu par l’annexe au contrat de séjour en raison de la perte d’autonomie totale du résident. 

Il n’y a pas lieu de considérer que la responsabilité de l’établissement pourrait être engagée pour avoir autorisé un proche à aider son parent et avoir causé une contamination par le virus. On sait maintenant que cette contamination se fait par l’intermédiaire des soignants. Au contraire, la responsabilité de l’établissement pourrait être engagée pour avoir interdit l’accompagnement de la fin de vie par les proches avec à la clé une demande d’indemnisation supplémentaire pour le préjudice moral subi par le malade et son proche, consécutif à l’abandon en fin de vie et le non- respect de la loi Léonetti. 

À l’évidence, la loi impose de prendre en compte la particularité de chaque situation, au cas par cas, sous la responsabilité du directeur qui conserve la libre appréciation de la situation en fonction de la bonne organisation de son établissement. 

Il aura intérêt à s’appuyer sur l’équipe pluridisciplinaire, qui appréciera la situation personnelle du résident, la charge supplémentaire de travail que son état implique à un personnel soignant déjà débordé et d’apprécier la nécessité de la présence du proche-aidant du point de vue de sa participation aux soins, en portant une attention particulière à l’impact de son absence sur l’état physique et moral du résident. 

Cette personne doit être associée aux mesures prises, et la situation individualisée dans chaque cas, comme le prévoit l’annexe au contrat de séjour, ceci évidemment dans le respect des mesures de distance à l’égard des autres résidents, le port de protections indispensables et espérons-le, dès que possible, le dépistage systématique à titre préventif de toute personne entrant dans l’EHPAD. 

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette suggestion afin de prendre la décision qui encouragera, voire obligera les directeurs, les médecins coordinateurs et les cadres infirmiers à appliquer des mesures concrètes en sorte que les résidents dépendants bénéficient de l’accompagnement par leur proche. 

Un arrêté de votre part permettra aux établissements de bénéficier en priorité du matériel de protection et de tests de dépistage pour toute personne entrante dans l’établissement. 

Espérons qu’il ne sera pas trop tard. 

Le Défenseur des droits me lit en copie. 

Madame Christelle Dubos, Secrétaire d’État, a reçu le communiqué, synthèse de cette lettre, que j’ai aussi déposée sur le contact du site du ministère. 

Croyez, Monsieur le Ministre, à l’expression de ma plus grande considération. 

Marie-Hélène ISERN-REAL 

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