Le compte de gestion et son contrôle
Le mandataire professionnel ou le tuteur familial a l’obligation d’établir un compte annuel de gestion faisant apparaître les ressources et les dépenses engagées au nom et pour le compte de la personne protégée, accompagné des pièces justificatives utiles, en vue de son contrôle et de son approbation (article 510 du code civil).
Le compte de gestion permet, de fait, de mettre à jour l’inventaire de patrimoine initial et le contrôle de la gestion du budget et des biens du majeur protégé. Cette vérification était opérée par le directeur de greffe judiciaire auquel le compte devait être transmis. Cette tâche lourde pour les greffes, était effectuée dans des conditions peu opérantes pour de multiples raisons : compétences inadaptées, mission chronophage, défaut de moyens alloués. L’ineffectivité de ce contrôle avait été plusieurs fois dénoncée par les parlementaires, la Cour des comptes et le Défenseur des droits.
Pour remédier à ces critiques, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a introduit parmi diverseses dispositions, une modification des règles concernant le contrôle des comptes de gestion qui doivent être externalisés.
Un décret d’application n° 2024-659 du 2 juillet 2024 et deux arrêtés du 4 juillet 2024 ont permis la mise en place de l’externalisation du contrôle des comptes. Ils précisent les conditions de désignation de la personne habilitée à réaliser ce contrôle et de la mise en œuvre de la mission de vérification et d’approbation des comptes de la personne protégée.
Le nouvel article 512 du code civil confie aux organes de la mesure de protection ou à un professionnel qualifié extérieur à l’organe de protection, la vérification et l’approbation des comptes de gestion.
La transposition de cette nouvelle réglementation est faite dans le code de procédure civile (les articles 1254 à 1257-9)
La détermination des personnes chargées du contrôle dépend maintenant de la composition des organes de protection et de la consistance du patrimoine du majeur.
Qui pour exercer le contrôle ?
La loi a établi une distinction selon si la mesure est exercée par une seule personne ou par plusieurs personnes.
Dans le cas d’une mesure exercée par plusieurs personnes (existence de co-curateurs, co-tuteurs, subrogé tuteur, conseil de famille,...), le contrôle des comptes de gestion sera assuré en interne, par exemple par le subrogé.
Si une seule personne exerce la mesure de protection, le juge des tutelles devra désigner dès l’ouverture de la mesure ou à réception de l’inventaire, un professionnel qualifié. (C., art 512, al. 3).
Mais le juge pourra, même en cas de pluralité de personnes, désigner un professionnel extérieur si l’importance du patrimoine de la personne protégée le justifie.
Si une difficulté se présente, le juge peut statuer sur la conformité des comptes à la requête de l‘une des personnes chargées de la mesure de protection (C. civ., art. 512, al. 1er)
I - Contrôle interne
Le nouvel article 512 du code civil dans son alinéa 1er confie aux organes de la mesure de protection (tuteur/curateur adjoint, co-tuteur/curateur, subrogé, conseil de famille) la vérification et l’approbation des comptes de gestion quand ces organes existent :
« les comptes de gestion sont vérifiés et approuvés annuellement par le subrogé tuteur lorsqu'il en a été nommé un ou par le conseil de famille lorsqu'il est fait application de l'article 457. Lorsque plusieurs personnes ont été désignées dans les conditions de l'article 447 pour la gestion patrimoniale, les comptes annuels de gestion doivent être signés par chacune d'elles, ce qui vaut approbation. » (alinéa 1er article 512 CC).
Un mandataire judiciaire à la protection des majeurs peut aussi être désigné pour remplir cette mission de vérification et d’approbation des comptes.
L’article 497 du code civil confie déjà au subrogé une mission de contrôle du déroulement des opérations que le tuteur a l’obligation d’accomplir. Il en est ainsi notamment de l’emploi et du remploi des capitaux.
Ce contrôle est gratuit quand il est exercé par des proches
Le juge n’interviendra qu’en cas de difficulté, à la requête de l’une des personnes chargées de la mesure de protection. Dans ce cas, le juge statuera sur la conformité des comptes (article 512, al 1er du code civil).
Le juge peut, quand même, nommer un professionnel qualifié, même si un organe de protection est en place, lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, circonstances à l’appréciation du juge.
II - Contrôle externe
Lorsque la désignation d’un organe interne n’est pas possible, le juge doit désigner un professionnel qualifié.
Ce contrôle externe peut être exercé dans deux situations :
- en l’absence de désignation d’un subrogé tuteur d’un co-tuteur, d’un tuteur adjoint ou d’un conseil de famille, le juge doit désigner, dès réception de l’inventaire et du budget prévisionnel, un professionnel, chargé de la vérification et de l’approbation des comptes (article 512, al. 3 du Code civil) ;
- lorsque l’importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient même en présence d’un subrogé tuteur, d’un cotuteur, d’un tuteur adjoint ou d’un conseil de famille.(article 512, al. 2 du Code civil).
Qui sont les professionnels qualifiés
Le professionnel doit, en principe figurer sur une liste établie par le procureur de la République, déposée au greffe du tribunal. La constitution de la liste des professionnels qualifiés s’effectue au niveau du ressort de chaque tribunal judiciaire et relève de la compétence du procureur de la République (article 1257-1 du code de procédure civile). IL peut être fait appel à un autre tribunal du ressort de la même cour d’appel. Il est possible de s’inscrire sur plusieurs listes.
Le professionnel doit remplir certaines conditions (CPC, art. 1257-2, I, 1° à 4°) comme la souscription d’une assurance de responsabilité civile, une expérience professionnelles d’une durée de trois ans minimum ou d’une formation dans les métiers du chiffre ou de la protection juridique des majeurs,
Sont réputés remplir ces conditions les notaires, les commissaires de justice, les commissaires aux comptes et les mandataires judiciaires à la protection des majeurs.
A titre exceptionnel, le juge peut désigner un professionnel qualifié non inscrit sur l'une de ces listes dont il s'assure qu'il remplit les conditions fixées à l'article 1257-2.
Toutefois, il ne peut désigner, en qualité de professionnel qualifié, un mandataire judiciaire à la protection des majeurs que dans les cas où il n'a pas désigné un mandataire judiciaire à la protection des majeurs pour exercer la mesure de protection ou pour exercer les fonctions de subrogé curateur ou de subrogé tuteur. (CPC, art. 1257-1)
Egalement, lorsqu'une personne morale au sein de laquelle exerce un MJPM est désignée en qualité de professionnel qualifié, elle ne peut confier à celui-ci la mission de vérification et d'approbation du compte de gestion si la mesure de protection ou les fonctions de subrogé curateur ou subrogé tuteur sont déjà exercées par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. (CPC, art. 1257-1)
Durée de la mission
La durée de la mission du professionnel qualifié est calquée sur la durée de la mesure de protection sauf si le juge en décide autrement ou s’il interrompt la mission en cas de manquement caractérisé dans l'exercice de la mission de vérification et d'approbation des comptes de gestion . Peut également intervenir un dessaisissement d’office en raison d’incompatibilités (par exemple, un MJPM qui serait amené à contrôle un autre MJPM) (CPC, art. 1257-8, al. 1er)
Pas de secret bancaire ou professionnel à l’encontre du professionnel qualifié (C. civ., art. 513-1, al. 1er) mais il est soumis au secret professionnel (CPC, art. 1257-5)
Pour en savoir plus : Annexe n°1 : Fiche relative à la désignation et à la fin de mission du professionnel qualifié de la circulaire du 24 septembre 2024
Modalités du contrôle externe
Le juge fixe dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à ce professionnel le compte de gestion, accompagné des pièces justificatives, en vue de ces opérations. C. civ., art. 512, al. 2
Voir les deux modèles de courrier transmis par le juge au mandataire et au professionnel qualifié :
Annexe n°4 : Modèle de courrier d’information à la personne en charge d’une mesure de protection (contrôle interne des comptes de gestion)
Annexe n°5 : Modèle de courrier d’information à la personne en charge du contrôle interne des comptes de gestion
Le compte de gestion est établi pour une année civile donnée (janvier-décembre) ainsi que les pièces justificatives, transmises spontanément par la personne en charge de la mesure de protection à la personne en charge de vérifier le compte de gestion avant le 30 juin de l’année suivant celle de l’établissement du compte de gestion (année N+1) ; lorsque la mission de la personne en charge de la mesure de protection prend fin, dans les trois mois qui suivent la fin de la mission.
La personne chargée de vérifier et d'approuver le compte de gestion remet au juge un exemplaire de celui-ci, accompagné d'une attestation d'approbation ou d'un rapport de difficulté CPC, art. 1254, al. 3
- - avant le 31 décembre dans le cas prévu au premier alinéa de l'article 510 du code civil
- - dans les six mois qui suivent la transmission du compte de gestion par la personne en charge de la mesure de protection dans le cas prévu au premier alinéa de l'article 514 du code civil.
A défaut de transmission des documents prévus au deuxième alinéa de l’article 1254 du CPC dans les délais impartis à la personne en charge de la mesure de protection, elle peut adresser au juge un rapport de difficulté.
Le juge peut décider d’espacer cette fréquence, par exemple, en mettant en place un contrôle tous les deux ou trois ans, sans pour autant justifier une dispense d’établissement des comptes de gestion ou une dispense de les soumettre à vérification. Cet espacement de la fréquence du contrôle permettra d’en alléger le coût dans les situations qui ne présentent pas de difficulté particulière.
Dans ce cas, la personne en charge de la mesure de protection reste tenue d’établir chaque année un compte de sa gestion (article 510 du code civil), que le juge des tutelles pourra exiger qu’elle lui transmette si cette pièce est nécessaire pour qu’il statue sur une requête qui lui est adressée.
Voir : Annexe n°2 : Fiche relative à la mission de vérification du compte de gestion
Un arrêté du 4 juillet 2024 prévoit un modèle de compte de gestion, qui sera utilisé par toutes les personnes en charge des mesures de protection (mandataires judiciaires à la protection des majeurs et proches du majeur protégé). Il prévoit également un modèle d'attestation d'approbation et de rapport de difficulté, qui sera utilisé par la personne chargée de vérifier les comptes de gestion (professionnel qualifié, subrogé tuteur, co-tuteur). D. n° 2024-659, 2 juill. 2024, art. 5
Financement du contrôle
Le professionnel qualifié reçoit une rémunération, supportée par le majeur protégé qui déjà supporte financièrement le coût de sa mesure qui rémunère le mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
Toutefois, lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies, la personne protégée est exonérée du coût du contrôle :
- si les ressources dont elle a bénéficié l’année précédant le contrôle sont inférieures ou égales au montant du revenu de solidarité active (RSA) et que
- son patrimoine disponible, c'est-à-dire son patrimoine financier mobilisable à tout moment est inférieur ou égal à 35 000 euros.
La rémunération de base est prévue hors taxe. Pour les professionnels soumis à la TVA, le montant de cette taxe s’ajoutera aux sommes dues par le majeur protégé.
A titre exceptionnel, à l’exclusion des situations dans lesquelles le majeur protégé dispose de ressources inférieures ou égales au RSA et d’un patrimoine disponible inférieur ou égal à 35 000 euros, le juge des tutelles ou le conseil de famille s’il a été constitué peut allouer au professionnel qualifié, à sa demande, une indemnité en complément des sommes perçues au titre de la rémunération de base, le cas échéant majorées.
Lorsque le juge décide d’octroyer une indemnité complémentaire, il peut par ailleurs décider, dans la même décision et à la demande du professionnel qualifié, du montant du remboursement des frais postaux, de reprographie et de déplacement rendus nécessaires par sa mission de vérification des comptes de gestion.
A l’issue de l’accomplissement de sa mission, le professionnel qualifié devra, pour obtenir le paiement des sommes dues par la personne protégée, adresser une facture à la personne en charge de la mesure de protection.
Si la personne en charge de la mesure de protection refuse de régler le montant de la facture, et qu’aucune solution amiable n’a abouti, le professionnel qualifié devra, s’il estime que ces contestations ne sont pas fondées et souhaite obtenir un titre exécutoire, utiliser les voies de droit commun, à savoir la requête aux fins de saisine du tribunal judiciaire ou du tribunal de proximité pour une demande inférieure à 5 000 euros (article 818 du code de procédure civile et cerfa n°16042*02)
Pour les modalités de calcul de la rémunération consulter la fiche relative à la rémunération du professionnel qualifié (annexe 3 de la circulaire du 24 septembre 2024)
III - Dispense d’établissement et de contrôle du compte de gestion
Le nouvel article 513 du Code civil a permis d’assouplir les modalités de contrôle comme l’espacement de la périodicité du contrôle, voire la dispense d’établissement et de contrôle en considération de la modicité des revenus ou du patrimoine de la personne protégée. Cette dispense n’a rien d’automatique.
Deux cas sont prévus :
- Le tuteur professionnel peut être dispensé du contrôle du compte de gestion mais non de son établissement, en considération de la modicité des revenus ou du patrimoine de la personne protégé.
- le tuteur familial peut être dispensé d’établir un compte de gestion et de le soumettre en considération, là aussi, de la modicité des revenus ou du patrimoine.
Dans le cas où le juge des tutelles dispense la personne en charge de la mesure d’établir le compte de gestion, celle-ci reste néanmoins responsable du dommage résultant d'une faute quelconque qu'elle commet dans l'exercice de ses fonctions (article 421 du code civil). En cas de litige, elle doit pouvoir être en mesure de justifier que les actes accomplis l’ont été dans l’intérêt de la personne protégée.
Par ailleurs, la décision de dispense n’empêche pas le juge des tutelles, au titre de sa mission de surveillance générale des mesures de protection ((C. civ. art. 416)), de solliciter, s’il l’estime nécessaire, tout document relatif au patrimoine de la personne protégée ou de demander à la personne en charge de la mesure de protection de déclarer toute modification substantielle dans la situation patrimoniale de la personne protégée.
Les mesures extra-judiciaires
Concernant les mesures extra-judiciaires comme l’habilitation familiale, aucune disposition n’est prévue pendant le mandat, ni en fin de mandat : pas d’établissement du compte de gestion.
Pour le mandat de protection future, le mandataire établit annuellement le compte de sa gestion qui est vérifié selon les modalités définies par le mandat (C. civ, art.486) et que le juge peut en tout état de cause faire vérifier selon les modalités prévues à l'article (C. civ. art. 512). Mais si le mandat est conclu par acte notarié, le mandataire doit remettre les comptes de gestion annuels et à la fin du mandat au notaire.
Même en cas de dispense de l’établissement du compte de gestion de la personne protégée, il est prudent d’établir un compte de gestion, ou à minima, de garder les pièces justificatives concernant la gestion du patrimoine de la personne protégée. La présence, par exemple d’un conflit familial, pourrait conduire le juge, dans le cadre de son devoir de surveillance des mesures de protection, à demander à contrôler la gestion du mandataire.
Quels sont les critères de l’importance et de la composition du patrimoine ?
Selon la Circulaire : CIV/02/24 - Direction des affaires civiles et du sceau, 24 septembre 2024 mais sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond,
- Les critères de dispense de l’établissement du compte de gestion pourraient être :
« Sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond, il pourrait, par exemple, être considéré qu’une telle dispense peut être prévue lorsque la personne protégée dispose de ressources d’un montant inférieur ou égal à l’allocation aux adultes handicapés, d’un patrimoine financier inférieur à 10 000 euros et qu’elle ne dispose pas de patrimoine immobilier. »
- Les critères de dispense de présentation du compte de gestion pourraient être :
Toujours « sous réserve de l’appréciation du juge, être considéré que la personne en charge de la mesure de protection peut être dispensée de soumettre les comptes de gestion à approbation lorsque la personne protégée dispose de ressources d’un montant net inférieur à 1 500 euros par mois, d’un patrimoine financier inférieur à 20 000 euros et qu’elle dispose d’un patrimoine immobilier d’une valeur inférieure à 100 000 euros. Tel pourrait être également le cas en présence de revenus plus importants dont la quasi intégralité serait affectée au paiement de l’établissement accueillant le majeur protégé (exemple : pension de retraite permettant de financer un EHPAD). »